Rapport spécial
11 2021

Soutien exceptionnel aux producteurs de lait de l'UE au cours de la période 2014‑2016
Une efficience à améliorer pour l'avenir

À propos du rapport Après avoir atteint un niveau record début 2014, le prix moyen perçu par les producteurs de lait de l'UE a commencé à baisser. À la mi-2016, les prix sont repartis à la hausse.

La PAC comprend un certain nombre d'instruments permettant de faire face aux perturbations du marché. Les paiements directs ont une fonction stabilisatrice car ils constituent une source constante de revenus pour les agriculteurs. Un «filet de sécurité» a été mis en place pour soutenir les prix en retirant ponctuellement du marché les produits laitiers excédentaires. La Commission européenne peut également adopter des mesures exceptionnelles contre les menaces de perturbations du marché. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait entre 2014 et 2016.

Nous avons examiné si la réponse apportée par la Commission et par les autorités compétentes des États membres aux perturbations qui ont touché le marché des produits laitiers entre 2014 et 2016 avait été correctement gérée. Dans l'ensemble, nous avons constaté que la Commission et les États membres avaient pris des mesures générales pour aider les agriculteurs pendant les perturbations du marché, mais que l'analyse menée pour déterminer le niveau de soutien nécessaire et cibler celui-ci était généralement insuffisante.

Rapport spécial de la Cour des comptes européenne présenté en vertu de l'article 287, paragraphe 4, deuxième alinéa, du TFUE.

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PDF General Report

Synthèse

I

Le secteur laitier est l'un des secteurs de l'agriculture de l'UE les plus importants en valeur. Après avoir atteint un niveau record début 2014, le prix moyen perçu par les producteurs de lait de l'UE a commencé à baisser. À la mi-2016, les prix sont repartis à la hausse.

II

La politique agricole commune comprend un certain nombre d'instruments permettant de faire face aux perturbations du marché. Les paiements directs ont une fonction stabilisatrice car ils constituent une source constante de revenus pour les agriculteurs. Un «filet de sécurité» a été mis en place pour soutenir les prix en retirant ponctuellement du marché les produits laitiers excédentaires. La Commission européenne peut également adopter des mesures exceptionnelles contre les menaces de perturbations du marché. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait entre 2014 et 2016.

III

Nous avons examiné si la réponse apportée par la Commission et par les autorités compétentes des États membres aux perturbations qui ont touché le marché des produits laitiers entre 2014 et 2016 avait été correctement gérée. Dans l'ensemble, nous avons constaté que la Commission et les États membres avaient pris des mesures générales pour aider les agriculteurs pendant les perturbations du marché, mais que l'analyse menée pour déterminer le niveau de soutien nécessaire et cibler celui-ci était généralement insuffisante.

IV

En 2019, nous avons fait rapport sur le recours à des mesures exceptionnelles pour stabiliser les revenus des agriculteurs dans le secteur des fruits et légumes. Le présent rapport est, lui, centré sur les producteurs de lait de l'UE. Il ne couvre pas l'impact de la pandémie de COVID-19, mais examine comment la Commission a géré une crise antérieure et quelles leçons elle peut en tirer.

V

La Commission a réagi rapidement à l'embargo russe. Avant la fin de 2014, elle a soutenu financièrement des mesures exceptionnelles dans les États baltes et en Finlande, les pays les plus touchés par l'embargo. Toutefois, il lui a fallu plus de temps pour s'attaquer aux déséquilibres sous-jacents du marché, et les mesures qu'elle a adoptées en septembre 2016 pour soutenir la réduction volontaire de la production comportaient un certain degré d'effet d'aubaine.

VI

La Commission a proposé des mesures exceptionnelles pour atténuer les problèmes de trésorerie des agriculteurs, mais sans évaluer correctement les besoins ni définir de valeurs cibles. Compte tenu de la flexibilité dont ils disposent dans le cadre de la gestion partagée, les États membres ont privilégié des mesures exceptionnelles simples à mettre en œuvre et opté pour une large répartition des fonds. Les efforts visant à cibler l'aide ont été limités.

VII

Bien que l'UE ait prévu une réserve pour les crises dans le secteur agricole, la Commission n'y a pas fait appel pendant les perturbations du marché. Elle a depuis lors proposé des modifications visant à renforcer le rôle de cette réserve. Depuis 2018, les programmes de développement rural peuvent soutenir un éventail plus large d'outils de gestion des risques pour les agriculteurs subissant une baisse de revenus, y compris des instruments sectoriels de stabilisation des revenus. En décembre 2020, nous avons recensé deux programmes de développement rural offrant un soutien aux instruments de stabilisation des revenus, mais aucun de ceux-ci n'était opérationnel.

VIII

Les évaluations réalisées après les perturbations du marché ont permis de tirer des conclusions générales concernant les mesures exceptionnelles adoptées au niveau de l'UE et, depuis lors, la Commission a pris des initiatives pour améliorer ses procédures de gestion des crises. Toutefois, elle n'a pas correctement évalué les effets des dispositifs définis par les États membres.

IX

Nous adressons à la Commission européenne plusieurs recommandations afin qu'elle:

  1. améliore la manière dont elle fait face aux déséquilibres du marché;
  2. améliore la budgétisation et le ciblage;
  3. se prépare aux perturbations du marché susceptibles de se produire à l'avenir.

Introduction

Le secteur laitier de l'UE

01

La production de lait de vache, l'un des deux secteurs de l'agriculture de l'UE les plus importants en valeur (59,3 milliards d'euros en 2019), représente environ 14 % de la production agricole1. En 2019, les principaux pays producteurs de lait (l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Pologne, l'Italie et l'Irlande) étaient à l'origine des trois quarts environ de la production laitière de l'UE, en volume (voir figure 1). Entre 1984 et 2015, l'UE a appliqué un système de quotas laitiers, qui visait à limiter la production totale de lait sur son territoire. À partir de 2009, les quotas globaux attribués aux États membres ont progressivement augmenté jusqu'à la suppression du système, le 1er avril 2015.

Figure 1

Collecte de lait de vache en 2019

Source: DG Agriculture et développement rural – Short-term outlook Autumn 2020, livraisons de lait de vache (en milliers de tonnes) – Calculs de la Cour des comptes européenne.

02

En 2019, la production totale de lait dans l'UE s'élevait à quelque 168 millions de tonnes2, dont environ 95 %3 étaient livrées aux laiteries par les producteurs de lait. Les livraisons aux laiteries effectuées par les producteurs de lait ont augmenté rapidement en 2014 et en 2015, puis à un rythme plus lent (voir figure 2).

Figure 2

Livraisons de lait aux laiteries

Source: DG Agriculture et développement rural – Short-term outlook Autumn 2020 – Calculs de la Cour des comptes européenne.

03

De 2013 à 2015, les livraisons aux laiteries ont augmenté dans tous les États membres, sauf deux. Parmi les principaux pays producteurs, l'augmentation était supérieure à la moyenne de l'UE en Irlande, au Royaume-Uni, en Pologne et aux Pays-Bas. Les livraisons ont continué à augmenter en 2016 – à des degrés divers – dans 15 États membres, tandis qu'elles ont diminué dans les 13 autres, notamment au Royaume-Uni et en France (voir tableau 1).

Tableau 1

Évolution des livraisons de lait de 2013 à 2016

État membre Variation en pourcentage entre 2015 et 2013 Variation en pourcentage entre 2016 et 2015
Tchéquie 25,6 % -0,1 %
Irlande 18,0 % 4,1 %
Luxembourg 15,9 % 8,9 %
Belgique 14,8 % -2,7 %
Hongrie 12,6 % 0,7 %
Royaume-Uni 11,0 % -4,3 %
Chypre 9,9 % 16,1 %
Lettonie 9,8 % 0,8 %
Pologne 9,6 % 2,4 %
Pays-Bas 9,2 % 7,4 %
Portugal 8,9 % -4,4 %
EU‑28 7,7 % 0,4 %
Espagne 7,6 % 1,1 %
Lituanie 7,4 % -1,5 %
Slovénie 7,1 % 3,8 %
France 5,9 % -2,7 %
Autriche 5,8 % -0,2 %
Allemagne 5,2 % 0,3 %
Danemark 5,0 % 1,6 %
Finlande 4,7 % -0,2 %
Slovaquie 4,6 % -4,8 %
Italie 4,3 % 3,2 %
Roumanie 4,2 % 3,6 %
Suède 2,2 % -2,4 %
Estonie 2,1 % -0,8 %
Croatie 1,9 % -4,6 %
Malte 1,6 % 3,8 %
Grèce -0,7 % -0,2 %
Bulgarie -4,4 % 7,3 %

Source: DG Agriculture et développement rural – Short-term outlook Autumn 2020 – Calculs de la Cour des comptes européenne.

04

Entre 2009 et 2019, la consommation de produits laitiers (lait et produits obtenus à partir du lait, tels que le beurre, le fromage et le lait en poudre) dans l'UE a augmenté à un taux moyen de 0,8 % par an, tandis que les exportations de l'Union ont augmenté en moyenne de 5,5 % par an (voir figure 3) en réponse à l'expansion rapide de la demande mondiale. À l'issue de cette période de croissance, en 2019, l'UE exportait environ 15 % de sa production4. Au cours de la période 2016‑2019, les trois premiers exportateurs mondiaux étaient l'UE (27 %), la Nouvelle-Zélande (25 %) et les États-Unis (14 %), et le commerce international des produits laitiers représentait quelque 9 % de la production mondiale5.

Figure 3

Exportations de produits laitiers au cours de la période 2009‑2019

Source: DG Agriculture et développement rural – EU agricultural outlook 2019‑2030 et Short-term outlook Autumn 2020 – Calculs de la Cour des comptes européenne. Les équivalents-lait ont été calculés à l'aide des coefficients de la Commission, à savoir: 6,57 pour le beurre, 3,58 pour le fromage, 7,57 pour le lait écrémé en poudre, 7,56 pour le lait entier en poudre, 7,48 pour le lactosérum et de 0,85 pour les produits laitiers frais.

Les perturbations du marché du lait au cours de la période 2014‑2016

05

Les bonnes conditions météorologiques de 2014 et les prix élevés du lait pratiqués au cours des années précédentes ont favorisé une forte augmentation de la production laitière dans l'UE. De 2013 à 2015, les livraisons de lait aux laiteries ont augmenté d'environ 8 %, ce qui représente quelque 11 millions de tonnes (voir figure 2), une progression importante compte tenu de l'évolution de la consommation intérieure et du volume des exportations (voir point 04 et figure 3). La suppression des quotas laitiers de l'UE avait été annoncée pour 2015 et, comme les années précédentes, certains producteurs ont payé une amende pour dépassement de ces quotas.

06

En mai 2014, la demande d'exportations de produits laitiers de l'UE était toujours forte6. En août de la même année, la Fédération de Russie a décrété un embargo sur les importations de produits laitiers de l'UE en réaction aux sanctions de celle-ci liées à l'Ukraine, et la croissance des importations chinoises a connu un ralentissement. La Russie était le plus grand marché d'exportation des produits laitiers de l'UE – en particulier le fromage –, puisqu'elle représentait environ 14 % de la valeur totale des exportations en 20137, et consommait 1,6 % de l'ensemble de la production laitière de l'Union8. En 2013, la Chine représentait 7 % de la valeur des exportations de produits laitiers de l'UE, les principaux produits achetés étant du lait écrémé en poudre et du lactosérum en poudre.

07

Selon un rapport de la Commission9, «[a]près avoir connu des prix historiquement élevés pour le lait et les produits laitiers jusqu'à fin 2013 et début 2014, le secteur laitier est entré dans une phase de déséquilibre entre l'offre et la demande au niveau mondial […] tout au long de 2015 et au premier semestre 2016».

08

Les prix du lait fluctuent généralement en cours d'année et d'une année à l'autre. Ils remontent en hiver (lorsque la production laitière est la plus faible) et baissent à mesure que la production augmente au printemps. Une moyenne mobile sur 12 mois des prix du lait constitue donc un meilleur indice de fluctuation que les prix mensuels (voir figure 4). Depuis l'élargissement de l'UE de 2004, la moyenne mobile annuelle des prix du lait livré aux laiteries de l'UE s'est située globalement dans une fourchette comprise entre 28 et 35 centimes d'euro/kg. Entre la mi-2013 et 2016, le prix mensuel moyen a d'abord dépassé cette fourchette, puis est tombé – brièvement – à quelque 26 centimes d'euros, son niveau le plus bas.

Figure 4

Prix du lait cru dans l'UE au cours de la période 2005‑2020

Source: Notification, par les États membres, des informations visées à l'article 12, point a), du règlement (UE) 2017/1185 – Annexe II, point 4, sous a) – Montants pondérés par les quantités livrées aux laiteries. Le soutien exceptionnel sur lequel porte le présent audit était disponible au cours de la période signalée en vert – Voir annexe.

09

Les prix et les fluctuations variaient considérablement d'un État membre à l'autre. C'est en juin 2016 que l'écart de prix le plus important (38,1 c/kg) a été relevé, entre la Lituanie (16,9 c/kg) et Chypre (55,0 c/kg). Le prix était inférieur à 22,5 c/kg dans sept États membres, tandis qu'il était supérieur à 36,5 c/kg dans quatre autres10.

10

Le chiffre d'affaires annuel de la production laitière a augmenté entre 2012 et 2014, puis a diminué entre 2014 et 2016 (voir figure 5). Le chiffre d'affaires moyen s'élevait à 53,4 milliards d'euros pour 2013 et 2014 et à 44,8 milliards d'euros pour 2015 et 2016, ce qui représente une légère baisse par rapport au chiffre d'affaires de 2012.

Figure 5

Valeur des livraisons de lait

Source: DG Eurostat pour les livraisons mensuelles de lait de vache (apro_mk_colm) — Observatoire du marché du lait pour l'évolution des prix du lait cru dans l'UE — Calculs de la Cour des comptes européenne.

11

Le réseau d'information comptable agricole (RICA) est le principal instrument statistique dont dispose la Commission pour suivre les revenus et les activités des exploitations agricoles commerciales. Il comprend plusieurs indicateurs de revenu11, tels que la valeur ajoutée nette d'exploitation (VANE) par unité de travail annuel (UTA) et le revenu net d'exploitation. En ce qui concerne les agriculteurs de l'UE spécialisés dans la production laitière, ces deux indicateurs ont baissé entre 2012‑2013 et 2015‑2016, d'environ 7 % pour le premier et d'environ 16 % pour le second.

12

La dynamique a été très différente d'un État membre à l'autre. Par exemple, si l'on compare la période 2015‑2016 à la période 2012‑2013, l'indicateur VANE/UTA a diminué dans 14 des 25 États membres pour lesquels des données sont disponibles, mais a augmenté dans les 11 autres. L'écart s'échelonnait de - 35 % aux Pays-Bas à + 110 % en Slovaquie.

Gestion des fluctuations de prix: les mécanismes disponibles

13

Les fluctuations de prix affectent les revenus des producteurs. La politique agricole commune (PAC) prévoit des mécanismes qui atténuent ce risque: les paiements directs, le filet de sécurité et les mesures exceptionnelles.

Les paiements directs permettent de stabiliser les revenus des agriculteurs

14

Les producteurs de lait ont deux principales sources de revenus: les recettes provenant de la vente de lait et les paiements directs sur le budget de l'UE. La plupart de ces paiements sont fondés sur le nombre d'hectares exploités et ne sont aucunement liés à la production. Ni les fluctuations du volume de lait produit ni le prix payé par les laiteries n'ont d'incidence sur le montant de l'aide directe versée aux agriculteurs.

15

Dans 19 États membres, outre les paiements directs par hectare, les producteurs de lait peuvent recevoir un paiement direct distinct lié à la production, appelé soutien couplé facultatif (voir encadré 1). Ils peuvent en outre bénéficier de mesures de développement rural telles que le soutien aux agriculteurs dans les zones soumises à des contraintes naturelles qui pèsent sur la production, ainsi que de subventions pour différents types d'investissements.

Encadré 1

Soutien couplé facultatif dans le secteur laitier

Les États membres peuvent accorder un soutien couplé facultatif à plusieurs secteurs et domaines de production [énumérés à l'article 52, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1307/2013] lorsque des types particuliers d'agriculture ou des secteurs revêtant une importance particulière sur les plans économique, social ou environnemental rencontrent des difficultés. Selon la Commission, en 2015:

  • près de la moitié du cheptel laitier de l'UE a bénéficié du soutien couplé facultatif;
  • le secteur laitier était le deuxième plus grand bénéficiaire du soutien couplé facultatif (avec 19,5 % de l'ensemble des dotations, soit 794 millions d'euros dans 19 États membres).
16

Comme nous l'avons déjà souligné12, les paiements directs atténuent l'incidence des fluctuations des prix et de la production. Lorsqu'ils sont associés à d'autres subventions de la PAC (aux paiements au titre du développement rural en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d'autres contraintes spécifiques, en particulier), ils offrent une protection importante contre les variations de revenus.

Le filet de sécurité pour les produits laitiers

17

Le règlement (UE) n° 1308/2013 – le règlement portant organisation commune des marchés (OCM) – fournit des outils supplémentaires permettant de stabiliser les marchés agricoles et de faire face aux perturbations du marché.

18

Les produits laitiers peuvent faire l'objet de mesures d'intervention sur le marché communément appelées «filet de sécurité». Ces mesures visent à remédier aux déséquilibres sur le marché et à soutenir les prix en retirant ponctuellement les excédents de produits laitiers du marché, en particulier les mois où la production est la plus élevée. Le lait contient de l'eau, du lactose, des matières grasses et des protéines. Le beurre et le lait écrémé s'obtiennent en séparant la matière grasse des protéines. Le filet de sécurité prend la forme d'une intervention publique sur le marché consistant à acheter du beurre et du lait écrémé en poudre (LEP), ainsi que d'une aide publique au stockage privé du beurre, du LEP et de certains types de fromages13.

19

En vertu du règlement OCM, les quantités et les prix d'intervention publique sont fixés par le Conseil14. En 2013, le Conseil a décidé15 que les États membres pouvaient acheter jusqu'à 109 000 tonnes de LEP au prix fixe de 169,80 euros/100 kg entre le 1er mars et le 30 septembre de chaque année. Ce prix est le même dans toute l'UE, ce qui rend l'intervention publique plus attrayante dans les régions où les prix du lait sont les plus bas.

20

En 2014, 2015 et 2016, se fondant sur l'article 219 du règlement OCM, la Commission a étendu la période d'intervention publique à l'ensemble de l'année. En outre, le Conseil a relevé à 350 000 tonnes le plafond de 2016 pour les quantités de LEP pouvant être achetées au prix fixe. Ces quantités correspondaient à la teneur en protéines de quelque 3,8 millions de tonnes de lait, soit 2,5 % de la production laitière de l'UE. En 2015, la Commission a instauré des mesures supplémentaires destinées à encourager les opérateurs à stocker des quantités plus importantes de LEP en prévoyant des taux d'aide au stockage privé plus élevés pendant une période plus longue, à savoir un an.

21

Dans la mesure où le prix de marché du beurre était supérieur au prix d'achat fixé pour les interventions du filet de sécurité depuis 2009, aucune intervention publique n'a eu lieu au cours de la période 2014‑2016. Au second semestre 2015, pour la première fois depuis 2009, le prix de marché du LEP est tombé en dessous du prix d'achat, et en 2016, 336 000 tonnes de LEP ont été retirées du marché dans 14 États membres.

22

La Commission a vendu plus de 90 % des stocks publics de LEP entre mai 2018 et février 2019, une fois que le prix du lait s'était redressé. Le coût net total, pour le budget de l'UE, de l'intervention publique pour le LEP s'est élevé à 136,9 millions d'euros pour la période 2015‑2019. L'UE a également consacré 39,3 millions d'euros à l'aide au stockage privé du beurre, du LEP et du fromage au cours de la même période.

Mesures exceptionnelles

23

L'article 219 du règlement OCM autorise la Commission à adopter des mesures exceptionnelles pour parer à des menaces de perturbations du marché. Elle peut le faire au moyen d'actes délégués qu'elle adopte après avoir consulté des groupes d'experts représentant les différents États membres. La figure 6 présente les différents rôles et responsabilités de la Commission et des États membres dans la procédure de mise en œuvre de mesures exceptionnelles.

Figure 6

Mesures exceptionnelles: rôles de la Commission européenne et des États membres

Source: Cour des comptes européenne, sur la base de la réglementation de l'UE applicable.

24

La figure 7 présente une chronologie simplifiée des mesures exceptionnelles prises par la Commission entre 2014 et 2016. En particulier, conformément à l'article 228 du règlement OCM, la Commission a adopté cinq règlements délégués (voir annexe) qui apportent un soutien aux producteurs de lait et à d'autres secteurs de l'élevage.

Figure 7

Mesures exceptionnelles prises au cours de la période 2014‑2016

Source: Cour des comptes européenne, sur la base de données de la Commission.

Étendue et approche de l'audit

25

L'objectif du présent audit était de déterminer si la réponse apportée par la Commission européenne et par les autorités compétentes des États membres aux perturbations qui ont touché le marché des produits laitiers entre 2014 et 2016 avait été correctement gérée. Plus précisément, nous avons examiné comment la Commission avait réagi face aux perturbations du marché, comment elle avait évalué la nécessité de prendre des mesures exceptionnelles et les avait ciblées, et comment les États membres les avaient mises en œuvre. Nous avons également cherché à savoir si la Commission et les États membres avaient évalué les résultats du soutien exceptionnel et tiré les conclusions qui s'imposaient pour se préparer aux perturbations du marché du lait susceptibles de se produire à l'avenir.

26

En 2019, nous avons fait rapport sur l'utilisation de mesures exceptionnelles pour stabiliser les revenus des agriculteurs dans le secteur des fruits et légumes16. Le présent rapport est, lui, centré sur les producteurs de lait de l'UE. L'audit a porté sur les mesures de soutien exceptionnelles mises en place par les règlements délégués énumérés en annexe. Nous avons également examiné les mesures du filet de sécurité, qui étaient complémentaires des mesures exceptionnelles.

27

Le 30 avril 2020, en réaction à la pandémie de COVID-19, la Commission a adopté des règlements relatifs à la planification de la production laitière par les organisations de producteurs et à l'aide au stockage privé du LEP, du beurre et de certains fromages. Si la gestion, par la Commission, de l'impact de la pandémie de COVID-19 sur les marchés des produits laitiers n'entrait pas dans le cadre de cet audit, le présent rapport examine la manière dont cette institution a réagi lors d'une crise antérieure et les enseignements qu'elle peut tirer de la manière dont elle y a fait face.

28

Nous avons réalisé nos travaux d'audit entre juillet 2019 et décembre 2020, sur la base de critères d'audit que nous avons établis à l'aide de documents d'orientation de l'UE, de textes législatifs, de débats législatifs, d'études et d'autres documents publiés.

29

Nous nous sommes entretenus avec des fonctionnaires de la Commission et avons examiné des documents de cette institution afin d'analyser la manière dont celle-ci avait évalué la nécessité de prendre des mesures exceptionnelles, conçu ces mesures, suivi leur mise en œuvre et évalué leurs effets. Nous avons tenu compte des travaux du service d'audit interne de la Commission, lequel avait examiné les processus de gestion de crise de la direction générale de l'agriculture et du développement rural (DG AGRI).

30

Nous avons également rendu visite aux autorités compétentes en Irlande, en France, en Italie et en Finlande, où nous avons:

  • collecté des éléments probants dans le cadre d'une analyse des documents et des données;
  • interrogé des représentants des autorités chargées de la conception et de la mise en œuvre des mesures exceptionnelles;
  • examiné les documents justificatifs de 120 paiements sélectionnés de manière aléatoire et rendu visite à 12 agriculteurs.

Outre ces visites, nous avons examiné le recours aux mesures exceptionnelles en Allemagne, en nous appuyant là aussi sur les travaux relatifs à la mise en œuvre de ces mesures réalisés par deux institutions allemandes17. Nous avons sélectionné ces cinq États membres sur la base des montants qu'ils ont reçus au titre du soutien exceptionnel, de la nature des mesures qu'ils ont mises en œuvre et des spécificités de leurs secteurs laitiers, telles que l'exposition au marché russe ou les fluctuations des quantités totales de lait livrées.

31

Enfin, nous avons envoyé un questionnaire:

  • aux autorités nationales compétentes de 16 États membres18 qui, ensemble, ont reçu plus de 80 % du financement octroyé par l'UE pour les mesures exceptionnelles en faveur des producteurs de lait. Le taux de réponse a été de 100 %;
  • à 56 organisations professionnelles parmi les principales actives dans le secteur laitier. Le taux de réponse a été de 44,6 %.

Nous avons analysé les réponses et les avons utilisées, en sus de nos autres sources d'éléments probants, pour élaborer nos constatations.

Observations

La Commission a réagi rapidement à l'embargo russe, mais il lui a fallu plus de temps pour s'attaquer aux déséquilibres sous-jacents du marché

32

Nous avons déjà fait observer dans un précédent rapport19 que «l[a] notion de "perturbation du marché" est très générale et n'est pas davantage explicitée dans la législation de l'UE», et que la situation «laisse une large marge de manœuvre lorsqu'il s'agit de décider de recourir ou non à des mesures exceptionnelles». Aux fins du présent audit, nous avons cherché à déterminer si la Commission avait mis en évidence les déséquilibres du marché en temps utile et proposé des mesures exceptionnelles appropriées.

La Commission a réagi rapidement à l'embargo russe

33

L'Observatoire du marché du lait, un organisme créé en avril 2014 composé d'agents de la Commission et d'experts du marché issus d'organisations sectorielles, est chargé de l'analyse des données relatives au marché des produits laitiers et de leur diffusion. Dans un rapport daté du 24 septembre 2014, le conseil économique de l'Observatoire déclarait que les prix, après avoir atteint un niveau élevé, subissaient des pressions liées aux difficultés du marché à absorber l'augmentation de la production dans les principales régions productrices de lait du monde, ce qui était encore aggravé par l'embargo russe sur les importations. Il ajoutait que cette tendance à la baisse pourrait se poursuivre si la production ne diminuait pas. Dans quatre rapports datant du premier semestre 2016, il mettait également en garde contre un déséquilibre du marché du lait. À titre d'exemple, le 23 février 2016, il faisait observer ceci: «Alors que l'évolution de la situation sur le plan des coûts et de la demande mondiale apporte quelque répit, les prix du lait à la ferme et des produits laitiers restent sous pression, en raison de la détérioration de l'équilibre du marché dans l'UE. Une amélioration de l'équation entre l'offre et la demande reste nécessaire».

34

Se fondant sur des données de l'Observatoire du marché du lait, la Commission a estimé en 2014 l'ampleur de l'incidence de l'embargo russe20 sur le marché des produits laitiers de l'UE, en particulier du point de vue des pertes d'exportations de beurre, de fromage et de lactosérum en poudre. Avant la crise, environ un quart de la production laitière de Finlande et plus de 15 % de celle des trois États baltes étaient exportés vers la Russie. En 2013, ces quatre États membres représentaient 3,6 % des livraisons de lait de l'UE, mais environ un tiers de ses exportations vers la Russie. En 2014, la Commission a présenté un premier paquet de mesures exceptionnelles de soutien financier en faveur des producteurs de lait des États baltes et de la Finlande tenant compte de leurs volumes respectifs de production laitière et de l'ampleur de la baisse des prix du lait.

Les stocks publics de lait écrémé en poudre ont constitué une menace pour le marché pendant la période de redressement des prix

35

Dès septembre 2014, peu après la mise en place de l'embargo russe sur les importations, la Commission a apporté un soutien aux opérateurs privés stockant du LEP. Cette mesure n'a pas eu d'incidence manifeste sur les prix du LEP, qui ont continué à baisser jusqu'à la mi-2016. L'intervention publique a débuté en juillet 2015 et a pris fin en septembre 2016, lorsque le prix du marché avait atteint le prix d'intervention. Les prix du LEP sont restés bas jusqu'à ce que la quasi-totalité des stocks d'intervention aient été vendus, début 2019 (voir figure 8). En avril 2019, dans une évaluation de la mesure, la Commission est parvenue à la conclusion que l'achat de grandes quantités dans le cadre de l'intervention publique avait permis d'atténuer la baisse des prix, mais qu'il avait pesé sur l'équilibre du marché du LEP et contribué à retarder le redressement des prix.

Figure 8

LEP: évolution des stocks publics et privés ainsi que des prix

Source: Cour des comptes européenne, sur la base de données de l'Observatoire du marché du lait.

La mesure de soutien à la réduction volontaire de la production est entrée en vigueur alors que celle-ci avait déjà commencé à baisser

36

En septembre 2015, la Commission a adopté le règlement (UE) 2015/1853, qui accorde un soutien exceptionnel au secteur de l'élevage de l'UE. Ce soutien n'était pas subordonné à la réduction ou au gel d'un certain volume de production laitière. En avril 2016, la Commission a adopté des règles21 permettant aux organisations de producteurs et aux coopératives de conclure des accords conjoints volontaires et de prendre des décisions communes sur la planification de la production laitière sur une base temporaire, mais elles n'ont pas fait usage de cette possibilité. Selon la Commission, cette situation était probablement due, d'une part, à l'absence d'incitation financière et, d'autre part, au fait que les agriculteurs qui ne s'engageaient pas à réduire leur production auraient eux aussi bénéficié des effets d'une telle réduction (ce que l'on appelle le phénomène de «passager clandestin»).

37

En juillet 2016, la Commission a annoncé les futurs règlements (UE) 2016/1612, lequel prévoit un soutien à la réduction volontaire de la production, et (UE) 2016/1613, dans le cadre duquel les réductions volontaires sont également incluses au nombre des activités pouvant bénéficier d'un soutien exceptionnel. À l'époque, les dernières informations dont disposait la Commission faisaient état d'une baisse sensible (4,0 %) des prix mensuels au mois de mai 2016 (ils étaient tombés à 26,2 c/kg, soit 14 % de moins qu'en mai 2015), et les estimations des États membres semblaient indiquer que les prix avaient continué à baisser en juin 2016. Les dernières données disponibles, qui dataient d'avril 2016, faisaient apparaître un ralentissement de l'augmentation des livraisons, et la Commission prévoyait une baisse au second semestre 201622. Les deux règlements ont été adoptés par la Commission en septembre 2016.

38

Le règlement (UE) 2016/1612 a fixé les niveaux d'aide à 14 euros/100 kg de lait et le budget total à 150 millions d'euros, le but étant de réduire le volume livré aux laiteries de quelque 1,1 million de tonnes sur une période de réduction de trois mois. La Commission n'a pas estimé l'ampleur de l'incidence sur les prix de cette réduction, ni à quelle échéance elle se produirait.

39

Le tableau 2 montre que la réduction des livraisons soutenue par le règlement (UE) 2016/1612 a représenté, au cours de la période de référence allant d'octobre 2015 à janvier 2016, 1,69 % du volume de lait livré aux laiteries de l'UE, soit 833 551 tonnes, ou 75 % de la quantité escomptée par la Commission. Celle-ci n'a pas obtenu de données sur le volume de lait retiré du marché par le biais des mesures prises par les États membres au titre du règlement (UE) 2016/1613. D'après nos calculs, sur les 390 millions alloués par le budget de l'UE au secteur laitier au titre de ces deux règlements, entre 200 et 250 millions d'euros ont été consacrés à ce type de mesures de soutien.

Tableau 2

Réduction des livraisons de lait [règlement (UE) 2016/1612]

Indicateur UE Allemagne Irlande France Italie Finlande
Livraisons de lait effectuées entre octobre 2015 et janvier 2016 (tonnes) 49 466 10 583 1 249 8 499 3 444 784
Réduction des livraisons soutenue par le règlement (UE) 2016/1612 (tonnes) 834 232 50 153 17 11
Proportion (*) 1,69 % 2,19 % 4,00 % 1,79 % 0,50 % 1,36 %

(*) Les différences sont dues aux arrondis.


Source: Cour des comptes européenne, sur la base de données de la Commission.

40

En ce qui concerne le régime volontaire de réduction de la production, la période de réduction s'est étendue d'octobre 2016 à janvier 2017, alors que le prix du lait avait commencé à se redresser en août 2016. De fait, la production laitière était en baisse depuis juin 2016, conséquence des prix historiquement bas (voir figure 9). Entre juin et septembre 2016, les livraisons de lait ont diminué d'environ 1 million de tonnes par rapport à la même période de l'année précédente, soit un volume supérieur aux réductions soutenues par la mesure de réduction volontaire. Il est donc très probable que certains producteurs ayant bénéficié d'un soutien auraient de toute façon réduit leur production. L'institut Thünen est parvenu à des conclusions similaires lorsqu'il a examiné le recours, par les producteurs de lait allemands, au soutien exceptionnel au titre du règlement (UE) 2016/161323, faisant observer qu'ils avaient déjà réduit leur production laitière avant l'entrée en vigueur des mesures d'aide.

Figure 9

Évolution des volumes de livraison et des prix au cours de la période de réduction

Source: Calculs de la Cour des comptes européenne, sur la base de données d'Eurostat (APRO_MK_COLM).

41

Les autorités françaises ont indiqué qu'elles auraient souhaité que le soutien aux réductions volontaires soit mis en place plus tôt, en même temps que les premières mesures exceptionnelles24. Dans leur réponse à notre questionnaire, les autorités allemandes ont fait observer qu'en dépit de la baisse des prix, certains producteurs de lait augmentaient leur production pour couvrir les coûts fixes, et que la pression de l'offre s'en trouvait accrue. Globalement, la production laitière en Allemagne a continué à augmenter jusqu'en juin 2016. De ce point de vue, les autorités allemandes ont estimé que les mesures de réduction volontaire auraient pu être plus efficaces si elles avaient été mises en œuvre plus tôt. En Allemagne, 20 % des agriculteurs s'étaient retirés du régime avant d'introduire des demandes de paiement.

42

Dans son évaluation interne des mesures de gestion de crises des marchés agricoles réalisée en 2019, la Commission est parvenue à la conclusion que, compte tenu du moment où cette mesure a été prise, il est impossible d'affirmer qu'elle a eu une incidence sur la réduction de la production, étant donné que cette dernière était déjà engagée au moment où la mesure a été mise en place. Pourtant, le régime ne fournissait un soutien qu'aux agriculteurs qui contribuaient à la réduction de la production devant déboucher sur le redressement des prix. Selon la Commission, la réduction de la production n'est que l'un des nombreux facteurs qui ont influencé le redressement des prix au second semestre 2016 (voir encadré 2).

Encadré 2

De nombreux facteurs ont influencé le redressement des prix

Dans l'édition datant de fin 2016 de son document annuel de prospective à moyen terme25, la DG AGRI a recensé plusieurs facteurs externes et nationaux ayant entraîné le redressement des prix:

  • la forte baisse de la production laitière en Argentine, en Uruguay et en Australie due à des conditions climatiques défavorables;
  • l'augmentation de la demande d'importation mondiale de fromage et de beurre, particulièrement favorable à l'UE (hausse des importations en Chine, aux États-Unis, aux Philippines et au Mexique);
  • l'intervention publique, dans le cadre du filet de sécurité, visant à retirer du marché un tiers environ de la production annuelle de LEP de l'UE;
  • l'augmentation de la consommation de fromage et de beurre dans l'UE, qui a plus que compensé la baisse des ventes de lait liquide;
  • le fait que la production laitière mensuelle de l'UE était inférieure aux niveaux de l'année précédente depuis juin 2016, et que l'on pouvait s'attendre à une baisse supplémentaire, compte tenu notamment de l'adoption de régimes de soutien en septembre 2016.

Le soutien couplé réduit les incitations à ajuster la production en cas de perturbations du marché

43

Le soutien couplé facultatif aux producteurs de lait (voir point 15) est fondé sur la taille du troupeau (paiement par tête de bétail). Afin de limiter l'offre de lait pour s'adapter aux nouvelles conditions du marché, y compris dans le cadre des mesures volontaires de réduction de la production, certains agriculteurs ont dû réduire la taille de leur troupeau. En septembre 2016, la Commission a adopté une dérogation26 pour l'année de demande 2017, qui permet aux États membres de verser un soutien couplé aux producteurs de lait sur la base du nombre de têtes de bétail qu'ils possédaient en 2016, même si celui-ci a diminué depuis lors. Les règlements (UE) 2017/2393 et 2020/2220 ont habilité la Commission à adopter des dispositions similaires pour les années de demande 2018, 2019, 2020, 2021 et 202227. Ces dispositions, applicables à partir de 2017, ont permis de répondre aux implications pratiques des incohérences politiques, mais durant la période où le marché du lait était perturbé, le soutien couplé a réduit les incitations visant à amener les agriculteurs à ajuster leur production en limitant le nombre de têtes de bétail.

La Commission a évalué l'impact des perturbations du marché de manière globale, laissant aux autorités nationales le soin de cibler l'aide

44

Au cours de la période 2014‑2016, la Commission a mis en place des mesures exceptionnelles temporaires afin de soutenir les agriculteurs du secteur laitier. Ces mesures ne visaient pas à compenser intégralement la baisse des prix subie par les agriculteurs, mais essentiellement à atténuer leurs problèmes de trésorerie. Nous avons vérifié si la Commission avait analysé l'incidence des déséquilibres du marché sur le secteur laitier avant d'adopter les mesures exceptionnelles, et si celles-ci tenaient compte de la situation financière et des flux de trésorerie des producteurs de lait.

45

Nous avons également examiné si la Commission avait pris des mesures pour garantir un ciblage suffisant de l'aide, en prenant en considération la manière dont les perturbations avaient affecté la situation financière des producteurs de lait ainsi que l'objectif de l'UE consistant à promouvoir un développement des zones rurales équilibré et durable du point de vue environnemental. Nous avons également voulu savoir si la Commission avait ciblé l'aide de manière à tenir compte des risques d'aléa moral et d'effet d'aubaine inhérents aux régimes de soutien exceptionnel et de réduction de la production.

La Commission s'est attachée à résoudre les problèmes de trésorerie des agriculteurs

46

Les mesures exceptionnelles font partie des instruments disponibles au titre de la PAC. D'autres subventions de la PAC, principalement les paiements directs aux producteurs (voir points 14 à 16), ont constitué une réserve de revenus et, ainsi, eu une fonction stabilisatrice. La part des paiements directs dans le revenu28 des exploitations laitières a augmenté en 2015 et en 2016, avec la diminution des recettes provenant de la vente de lait (voir figure 10). Les paiements directs ont eu une fonction stabilisatrice particulièrement importante en Finlande, l'un des cinq États membres sur lesquels nous avons centré notre audit; leur part dans le revenu des exploitations laitières a en effet été comprise entre 76 % et 96 % au cours de la période 2013‑2018.

Figure 10

Part des subventions de la PAC dans le revenu des exploitations laitières de l'UE

Source: Calculs de la Cour des comptes européenne, fondés sur des données du RICA. Total des paiements directs (SE606) et autres subventions, à l'exclusion de celles à l'investissement, en pourcentage de la VANE (SE415). Les autres subventions, à l'exclusion de celles à l'investissement, correspondent au total des subventions à l'exclusion de celles à l'investissement (SE605), moins le total des paiements directs (SE606).

47

Même si les subventions de l'UE ont un effet stabilisateur sur les revenus, une chute soudaine des prix peut créer des problèmes de trésorerie. En septembre 2015, la Commission a autorisé les États membres à verser jusqu'à 70 % des paiements directs de 2016 et 85 % des paiements liés à la surface au titre du développement rural dès le 16 octobre 2015 (soit six semaines en avance), pour autant qu'ils aient achevé leurs contrôles administratifs concernant les demandes de paiement. En vertu des règles standard, les avances peuvent aller jusqu'à 50 % pour les paiements directs et jusqu'à 75 % pour l'aide accordée au titre du développement rural29. La Commission a de nouveau accordé cette dérogation l'année suivante.

48

En septembre 2015, la Commission a également déclenché des mesures exceptionnelles à l'échelle de l'UE pour soutenir les agriculteurs. Dans ses réponses à notre rapport spécial n° 23/201930 sur les mesures exceptionnelles dans le secteur des fruits et légumes, elle a convenu que les revenus globaux des producteurs, y compris l'incidence des paiements directs, devraient être pris en considération dans l'analyse avant qu'elle ne puisse proposer le déclenchement ou la fin de mesures exceptionnelles. Lors de l'établissement de son budget pour l'aide de trésorerie dans le contexte des perturbations du marché du lait survenues au cours de la période 2014‑2016, la Commission n'a pas évalué l'ampleur des problèmes de trésorerie des exploitations laitières. Nous avons constaté que, dans la pratique, le montant des ressources disponibles jouait un rôle majeur dans la dotation budgétaire.

Les premiers règlements délégués de la Commission étaient peu ciblés

49

La Commission a alloué environ 80 % des fonds aux États membres au prorata de leur quota de production laitière pour 2014‑2015. Pour les 20 % restants, elle a tenu compte d'autres facteurs: le prix moyen du lait, la dépendance vis-à-vis du marché russe, l'impact de la sécheresse sur le rendement des cultures fourragères et la part des petites exploitations.

50

Conformément aux deux règlements délégués en faveur des États baltes et de la Finlande (voir point 34), l'aide de l'UE est destinée à «apporter un soutien ciblé aux producteurs de lait touchés par l'embargo russe». Dans les considérants du règlement délégué (UE) 2015/1853 figure qu'«afin de garantir que l'aide cible les agriculteurs les plus touchés par les perturbations du marché et compte tenu des ressources budgétaires limitées, il convient que les États membres concernés aient la possibilité de distribuer ce montant national par les canaux les plus efficaces». Or, aucun de ces trois règlements ne précisait comment les autorités nationales devaient cibler le financement. Il figure également dans les considérants qu'une aide était accordée aux États membres afin de «soutenir les agriculteurs dans les secteurs de l'élevage qui subissent la plus forte chute de prix, les conséquences directes de la prolongation de l'embargo russe sur les importations et l'impact de la sécheresse sur le rendement des cultures».

51

Le règlement délégué (UE) 2016/1613 dispose que «les États membres devraient choisir les mesures les plus appropriées, en particulier en termes de stabilisation du marché et de durabilité économique» et énumère sept activités ouvrant droit à une aide exceptionnelle pour les producteurs de lait. Outre la réduction ou le gel des volumes de production (voir point 36 et suivants), la liste inclut les activités liées à l'environnement et au climat, la gestion des risques et de la qualité, ainsi que les projets de coopération. Cet ensemble de conditions fait que ce règlement est plus ciblé que les précédents.

Les résultats des efforts déployés par la Commission pour cibler la durabilité dans l'élevage laitier manquent de clarté

52

La production laitière a un certain nombre de répercussions sur la politique environnementale et climatique. L'élevage laitier – en particulier lorsqu'il est intensif – a des conséquences complexes sur le sol, l'air et l'eau, principalement en raison de l'application d'engrais et de fumier et de la gestion de ceux-ci, ainsi que de la fermentation entérique chez les vaches. Une forte croissance de la production va à l'encontre de l'ambition de l'UE de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. À la fin de l'année 2014, les éleveurs de six États membres (Belgique, Danemark, Italie, Irlande, Pays-Bas et Royaume-Uni) avaient obtenu une dérogation au plafond de 170 kg d'azote par hectare et par an d'effluents d'élevage dans les zones vulnérables définies dans la directive «Nitrates»31, qui vise à protéger les eaux contre la pollution à partir de sources agricoles. Les agriculteurs bénéficiant de la dérogation sont soumis à des obligations spécifiques en matière de gestion du lisier et des terres.

53

Le règlement délégué (UE) 2016/1613 a introduit un certain nombre d'objectifs en matière de durabilité. Trois des sept activités ouvrant droit à une aide exceptionnelle pour les producteurs de lait étaient spécifiquement liées à des préoccupations environnementales: l'agriculture à petite échelle, le recours à des méthodes de production extensives et le recours à des méthodes de production respectant l'environnement et le climat. Les États membres devaient subordonner l'aide à la pratique d'une ou de plusieurs de ces sept activités.

54

La Commission a dressé le bilan des activités choisies par les États membres. Elle a constaté que l'octroi de l'aide était subordonné à la pratique de l'agriculture à petite échelle dans 13 cas, à des méthodes de production respectant l'environnement et le climat dans 12, et à des méthodes de production extensives dans sept (voir encadré 3). Toutefois, ces informations brutes ne sont pas suffisantes pour évaluer l'adoption ou l'impact de ces mesures.

Encadré 3

Exemples de ciblage ou d'absence de ciblage de la durabilité dans deux États membres

En Irlande, l'un des critères d'éligibilité appliqués au mécanisme de prêts de trésorerie (voir encadré 5) était le recours à des méthodes de production respectant l'environnement et le climat soutenues par le programme national de développement rural. Parmi ces méthodes figuraient l'agriculture biologique, différents régimes agroenvironnementaux et un programme de données sur la viande bovine et de génomique visant à améliorer la génétique du cheptel bovin afin de produire des effets bénéfiques pour le climat. L'augmentation des émissions de gaz à effet de serre enregistrée en Irlande entre 2011 et 2017 provenait principalement des secteurs laitier et de l'élevage.

L'Allemagne n'a subordonné l'octroi d'une aide exceptionnelle à aucune des trois activités spécifiquement liées à des préoccupations environnementales. Dans son évaluation des mesures, l'ISC d'Allemagne a critiqué le fait que le financement n'était pas lié à des objectifs de durabilité et a conclu qu'en l'occurrence, l'aide de trésorerie n'était rien d'autre qu'une opération de «sauvetage» sans effets durables à long terme32.

Les mesures de soutien exceptionnelles comportent un risque d'aléa moral

55

Nous avons déjà fait observer dans un précédent rapport33 que «[p]lus la fréquence des aides publiques accordées pendant ou après une "crise" augmente, moins les agriculteurs sont incités à atténuer les risques au moyen d'outils de gestion des risques». Cela crée un aléa moral en ce sens que les agriculteurs seront enclins à augmenter leur exposition aux risques. À titre d'exemple, en cas de stagnation de la demande, ils auront davantage tendance à accroître la production, dans la mesure où ils entrevoient la perspective d'une aide au titre du budget de l'UE si les prix baissent.

56

Durant la période 2014‑2016, de nombreux facteurs ont contribué à la baisse des prix, en particulier l'offre excédentaire (voir points 05 et 06). Au cours des années qui ont précédé les perturbations du marché, les agriculteurs de plusieurs États membres ont considérablement augmenté la production laitière afin de bénéficier des prix plus élevés, et certains ont continué à accroître la production même après que les prix ont commencé à baisser (voir point 03 et tableau 1). La surproduction qui en a résulté a pesé négativement sur les prix du marché. Nous avons constaté que la DG AGRI avait discuté de l'opportunité de recourir à des mesures exceptionnelles pour indemniser les agriculteurs qui avaient décidé d'investir – de leur propre initiative – et qui contribuaient à la surproduction. Elle a exclu l'idée de rembourser la dette des agriculteurs en échange d'une diminution de leur production, considérant que cela présentait un risque manifeste d'aléa moral. Elle n'a toutefois pas pris cette question en considération dans ses règlements délégués accordant une aide de trésorerie aux producteurs de lait.

57

Par ailleurs, il est ressorti d'une étude de 2018 réalisée pour le compte de la Commission que l'existence du filet de sécurité pouvait avoir rendu les producteurs de LEP moins attentifs aux signaux du marché à court terme. Selon les conclusions de l'étude, cela avait probablement été le cas pendant les perturbations du marché, en particulier aux Pays-Bas, mais aussi en Pologne, en Espagne et en Tchéquie34.

Les mesures de réduction de la production présentent un risque élevé d'effet d'aubaine

58

Un autre risque lié aux mesures exceptionnelles, et en particulier au soutien à la réduction volontaire de la production, est celui de l'effet d'aubaine. Lorsque les prix du lait sont bas, les producteurs de lait ont moins d'intérêt à produire, et devraient donc réagir à la baisse des prix par une réduction de leur production. Cette réaction est souvent partielle ou tardive, ce qui peut parfois s'expliquer par des besoins de trésorerie (pour le service de la dette, par exemple), par la nécessité de couvrir des coûts fixes élevés ou par le phénomène de passager clandestin. Entre 2014 et 2016, les prix continuant à baisser, certains producteurs auraient réduit leur production même en l'absence de soutien.

59

La Commission a rapidement mis en évidence le risque d'effet d'aubaine inhérent à son soutien exceptionnel à la réduction volontaire de la production. Toutefois, elle n'a pas proposé de garanties pour limiter ce risque dans les règlements délégués.

60

Nous estimons que le règlement (UE) 2016/1612 a créé un effet d'aubaine en apportant un soutien également aux agriculteurs qui auraient de toute façon cessé leur production. Nous avons constaté que le risque était particulièrement élevé en Finlande, où un quart des demandeurs ont réduit leurs livraisons de plus de 90 % (ce qui équivaut à 60 % de la réduction totale). L'étude réalisée en 2018 par l'institut Thünen35 évaluant la mesure volontaire de réduction de la production laitière en Allemagne a également conclu que l'effet d'aubaine constituait un risque important, quoique non quantifiable.

61

Le règlement (UE) 2016/1612 n'interdisait pas aux agriculteurs éligibles de transférer du bétail vers d'autres exploitations, où ils pouvaient continuer à produire du lait. Lorsque des transferts de bétail avaient lieu, l'aide n'avait pas d'effet sur le marché, puisque la production globale restait la même. Nous avons par exemple examiné en Irlande un cas dans lequel un demandeur avait «réduit» les livraisons de lait en transférant quelque 200 vaches et en louant ses installations de traite et ses terres à un autre agriculteur, lequel avait continué à livrer du lait de ces vaches pendant la période de réduction.

62

Contrairement au règlement (UE) 2016/1612, où les règles régissant le régime étaient fixées principalement par la Commission, le règlement (UE) 2016/1613 laissait les États membres libres de concevoir leurs propres règles pour les mesures volontaires visant à réduire ou à stabiliser la production laitière. Nous avons constaté que les autorités nationales avaient mis en place certaines garanties visant à réduire le risque d'effet d'aubaine en excluant les demandeurs arrêtant ou ayant cessé leur production (Allemagne et Finlande) ou ayant transféré des vaches vers une autre exploitation (Allemagne).

Les États membres ont privilégié des règles simples et une large répartition de l'aide

63

Quatre des cinq règlements délégués de la Commission relatifs aux mesures exceptionnelles laissaient aux États membres une grande latitude dans la conception et la gestion des régimes d'aide. Le règlement (UE) 2016/1612, relatif au soutien à la réduction de la production laitière, faisait exception.

64

Nous avons déterminé dans quelle mesure les États membres avaient eu recours à des dispositifs efficients pour cibler les agriculteurs les plus touchés et distribuer les fonds.

65

Les chiffres de la Commission montrent que 21 États membres ont versé au titre des règlements délégués de 2014 et de 2015 un soutien aux producteurs de lait, par litre de lait livré, par vache laitière ou encore sous forme d'un montant forfaitaire. Ces paiements ont représenté environ 250 des quelque 350 millions d'euros de fonds consacrés par l'UE au secteur laitier au titre de ces règlements. Plus de la moitié des fonds de l'UE accordés au titre des règlements délégués de 2016 ont été alloués à des régimes volontaires visant à réduire la production laitière ou à la maintenir au même niveau (voir point 39). La figure 11 illustre les différentes mesures mises en place dans les cinq États membres sur lesquels nous avons centré notre audit, auxquels ont été versés 64 % des 737 millions d'euros dépensés au titre des règlements énumérés en annexe.

Figure 11

Typologie des mesures exceptionnelles prises dans cinq États membres: soutien (en millions d'euros)

Source: Cour des comptes européenne, sur la base de données communiquées par les États membres visités.

66

En Irlande, en France et en Italie, nous avons constaté que dans le cadre de certains régimes, les bénéficiaires n'étaient tenus de présenter aucune demande de soutien spécifique. Les autorités procédaient aux paiements après consultation des bases de données utilisées pour d'autres paiements au titre de la PAC ou des données fournies par les laiteries (voir figure 12). En Irlande, les autorités ont appliqué directement le règlement (UE) 2015/1853, sans adopter de modalités d'exécution nationales supplémentaires. Grâce à cela, les autorités irlandaises ont été en mesure de payer la plupart des bénéficiaires trois mois avant l'échéance.

Figure 12

Simplification administrative

Source: Cour des comptes européenne.

67

Les règlements délégués ont donné aux États membres une grande latitude pour cibler le soutien (voir points 49 à 51). Neuf des 17 participants à l'enquête que nous avons réalisée auprès des autorités des États membres ont indiqué utiliser au moins un critère de ciblage. Dans quatre cas36, il s'agissait de critères liés à des pertes financières dues à la baisse des prix. Huit participants n'ont mentionné aucun critère de ciblage.

68

Les paiements forfaitaires (voir figure 11), faciles à utiliser, ne tenaient pas compte du niveau de difficulté financière auquel les agriculteurs étaient confrontés. En France et en Irlande, tous les bénéficiaires ont reçu une somme forfaitaire identique, qui s'élevait respectivement à 1 000 euros et à 1 395 euros, soit 37 % et 49 % du total des aides exceptionnelles versées dans ces pays.

69

Deux des cinq États membres sur lesquels nous avons centré notre audit ont eu recours à une approche proportionnelle. En Italie et en Finlande, le fait de fonder les paiements en faveur des producteurs de lait sur le volume de lait livré aux premiers acheteurs ou sur le nombre de vaches laitières était motivé par la volonté de verser rapidement aux agriculteurs une indemnité proportionnelle à leur perte de chiffre d'affaires.

70

Notre évaluation de l'efficacité des critères de ciblage utilisés par certains États membres a révélé un tableau contrasté (voir encadré 4).

Encadré 4

Critères de ciblage utilisés par les États membres

En France, les autorités qui appliquaient les règlements (UE) 2015/1853 et (UE) 2016/1613 utilisaient trois critères pour cibler les bénéficiaires: spécialisation dans le secteur laitier, perte de revenus provenant des ventes de lait et importance relative des prêts bancaires dans le bilan des producteurs. Les agriculteurs ayant procédé récemment à des investissements et les nouveaux exploitants bénéficiaient de plafonds de soutien plus élevés.

En Allemagne, en vertu du règlement (UE) 2015/1853, les agriculteurs ayant contracté des prêts bancaires à moyen et à long terme et qui pouvaient apporter la preuve d'une diminution supérieure ou égale à 19 % du prix du lait à la production étaient admissibles au bénéfice d'une aide exceptionnelle. Fin 2015, la baisse moyenne du prix à la production en Allemagne s'élevait à environ 23 %.

En Italie, les autorités ont ciblé le soutien au titre du règlement (UE) 2016/1613 sur les agriculteurs situés dans des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d'autres contraintes spécifiques. Ce critère tenait certes compte des préoccupations sociales et environnementales, mais son application a eu pour effet qu'une région montagneuse d'où provenaient 3 % seulement du total de la production nationale de lait a reçu un tiers de l'ensemble du soutien national, et ce bien que les prix du lait dans cette région soient restés stables pendant les perturbations survenues tout au long de la période 2014‑2016 du fait de la spécificité de la production locale.

71

L'Allemagne, l'Irlande et la France subventionnaient les prêts bancaires accordés aux agriculteurs. Ces mesures ont contribué à refinancer les exploitations agricoles en réduisant le montant des annuités et des intérêts et/ou en restructurant les prêts. Contrairement aux subventions traditionnelles de l'UE, elles prévoyaient une contribution financière des agriculteurs sous la forme de remboursements de capital et d'intérêts. Cette approche permet d'apporter un large soutien aux entreprises ayant besoin de trésorerie (voir encadré 5). Nous avons également relevé des mécanismes de prêts mis en place par des laiteries à l'aide de fonds privés afin d'accroître la résilience financière du secteur.

Encadré 5

Exemple de mécanisme de prêt subventionné apportant un soutien aux agriculteurs

En Irlande, le mécanisme de prêt destiné à apporter un soutien de trésorerie dans le secteur agricole («Agricultural CashFlow Support Loan Scheme»), mis en place en vertu du règlement (UE) 2016/1613, a permis de subventionner à hauteur de 126 millions d'euros des prêts bancaires accordés à des producteurs de lait pour reconstituer leur fonds de roulement. Les aides publiques, d'un montant total de 21 millions d'euros, ont permis d'octroyer des garanties du risque de crédit et de faire baisser les taux d'intérêt. Quelques semaines après son lancement, ce mécanisme avait été sollicité au-delà de ses capacités.

La Commission a appris de son expérience, mais n'a pas achevé son évaluation des mesures

72

Nous avons examiné si les enseignements tirés des expériences récentes, acquis notamment sur la base de l'évaluation des mesures exceptionnelles, permettaient aux autorités, tant au niveau de l'UE qu'à celui des États membres, d'être mieux préparées aux perturbations du marché susceptibles de se produire à l'avenir.

73

En septembre 2016, la Commission a proposé de modifier les règles relatives aux outils de gestion des risques soutenus par la politique de développement rural de l'UE afin de les rendre plus attractifs pour les agriculteurs. Par exemple, depuis 2018, le règlement «omnibus»37 prévoit la possibilité de mettre en place des instruments sectoriels de stabilisation des revenus pour les agriculteurs ayant enregistré une baisse de revenus supérieure ou égale à 20 %38. Depuis décembre 2020, le même seuil minimal s'applique aux instruments de stabilisation des revenus autres que sectoriels39. En décembre 2020 également, nous avons recensé dans l'ensemble de l'UE deux programmes de développement rural offrant un soutien aux instruments de stabilisation des revenus, mais aucun de ces instruments n'était opérationnel.

74

À la suite d'un rapport d'audit interne de 2017 sur la gestion des crises des marchés agricoles par la DG AGRI, la Commission a modifié ses procédures internes en 2018 afin de mieux pouvoir déterminer les scénarios de risque en matière agricole 24 mois à l'avance. La nouvelle procédure prévoit que lorsqu'un nouveau risque majeur est décelé, la Commission doit être prête à proposer, le cas échéant, un ensemble de mesures d'atténuation susceptibles d'être prises dans un délai raisonnable.

75

Pour financer les mesures exceptionnelles prises au cours de la période 2014‑2016, la Commission a envisagé de faire appel à la «réserve pour les crises dans le secteur agricole». Il s'agit d'une réserve d'urgence qui est maintenue en appliquant chaque année une réduction de 400 millions d'euros (à prix constants de 2011) au budget alloué aux paiements directs. Si la réserve n'a pas été utilisée pour un exercice donné, le montant correspondant est versé aux agriculteurs l'année suivante. Dans la pratique, l'UE n'a jamais fait appel à la réserve pour les crises. Un accord interinstitutionnel entre le Parlement, le Conseil et la Commission prévoit que «[t]oute proposition de la Commission visant à un virement à partir de la réserve est […] précédée d'un examen des possibilités de réaffectation des crédits». Sur cette base, la Commission a estimé qu'elle ne pouvait pas mobiliser la réserve pour les crises pour faire face aux perturbations de la période 2014‑2016, étant donné que d'autres ressources étaient disponibles dans le budget de la PAC.

76

Pour le prochain cadre financier pluriannuel de la PAC (2021‑2027), la Commission a proposé de renforcer le rôle et l'impact potentiel de la réserve pour les crises en rendant son utilisation plus souple et en permettant la reconduction annuelle des montants non utilisés sur l'exercice budgétaire suivant. Elle a également proposé de financer la réserve autrement que par les paiements directs aux agriculteurs, mais toujours dans le cadre du budget global de la PAC.

77

Dans le cadre d'un paquet de mesures visant à soutenir le secteur agroalimentaire en réaction à la pandémie de COVID-1940 comprenant celles mentionnées au point 27, la Commission a adopté un règlement41 autorisant à titre exceptionnel une plus grande flexibilité dans l'utilisation des fonds de l'UE, y compris les programmes de développement rural. À titre d'exemple, les fonds de roulement autonomes, et pas uniquement lorsqu'ils sont liés aux coûts d'investissement, sont désormais éligibles aux instruments financiers soutenus par les programmes de développement rural.

78

La Commission a réalisé et financé des études42 sur le recours aux mesures exceptionnelles au niveau de l'UE, qui ont fourni un éclairage sur la prévention et la gestion des crises dans le secteur agricole. Toutefois, aucune d'entre elles n'a porté sur les effets des dispositifs d'aide définis par les États membres au titre des règlements (UE) 2015/1853 et 2016/1613. Dans son évaluation interne, la Commission est parvenue à la conclusion qu'il était difficile d'évaluer l'impact direct des mesures en raison de leur hétérogénéité et de la nature des informations fournies.

79

Le règlement délégué (UE) 2016/161343 imposait aux États membres de fournir à la Commission des données sur les réalisations (montants versés par mesure, nombre et type de bénéficiaires) et une évaluation de l'efficacité des mesures au plus tard le 15 octobre 2017. Nos travaux dans les cinq États membres sur lesquels nous avons centré notre audit ont révélé que si elles avaient communiqué les données requises, la France, l'Italie et la Finlande n'avaient pas évalué les mesures.

Conclusions et recommandations

80

Nous avons examiné si la réponse apportée par la Commission européenne et par les autorités compétentes des États membres aux perturbations qui ont touché le marché des produits laitiers entre 2014 et 2016 avait été correctement gérée, et si les conclusions qui s'imposaient avaient été tirées dans la perspective de crises futures.

81

Nous avons constaté que la Commission et les États membres avaient pris des mesures générales pour aider les agriculteurs pendant les perturbations du marché des produits laitiers au cours de la période 2014‑2016, mais que l'analyse sous-jacente menée pour déterminer le niveau de soutien nécessaire et cibler celui-ci était généralement insuffisante. Si la Commission a réagi rapidement à l'embargo russe sur les produits laitiers de l'UE, il lui a fallu plus de temps pour s'attaquer aux déséquilibres sous-jacents du marché. Elle a proposé des mesures d'atténuation pour soulager les agriculteurs confrontés à des problèmes de trésorerie, mais sans évaluer correctement les besoins ni définir de valeurs cibles. Compte tenu de la flexibilité dont ils disposent dans le cadre de la gestion partagée, les États membres ont privilégié des mesures exceptionnelles simples à mettre en œuvre et opté pour une large répartition des fonds. Les efforts visant à cibler l'aide ont été limités. Depuis lors, la Commission a pris des initiatives pour améliorer la gestion des déséquilibres du marché, mais elle n'a pas achevé son évaluation des mesures.

82

À la suite de l'embargo russe, et avant la fin de 2014, la Commission a apporté un soutien financier exceptionnel aux États baltes et à la Finlande, les pays les plus touchés par l'embargo. D'autres facteurs, en particulier l'offre excédentaire, ont également contribué à la baisse des prix. La Commission a pris des initiatives visant à réduire l'offre: mise en place d'un soutien au stockage privé, renforcement de l'intervention publique et habilitation des organisations de producteurs et des coopératives à planifier la production. Toutefois, ces mesures ont impliqué des compromis. Ainsi, si les achats publics de lait écrémé en poudre ont initialement contribué à absorber une partie de l'offre excédentaire, les stocks publics accumulés ont pesé négativement sur le prix du marché du LEP (points 33 à 36).

83

La Commission a adopté des mesures de réduction volontaire de la production en septembre 2016. Or la production avait commencé à baisser dès juin 2016, et les mesures ne sont entrées en vigueur que lorsque le prix du lait était déjà reparti à la hausse (points 37 à 42). En l'occurrence, le risque d'effet d'aubaine était important. Certaines autorités nationales ont mis en place des garanties visant à réduire ce risque en excluant les demandeurs qui arrêtaient ou avaient cessé leur production, ou qui avaient transféré des vaches vers une autre exploitation (points 58 à 62). Par ailleurs, pendant toute la durée des perturbations du marché, les agriculteurs ont pu être dissuadés de réduire le nombre de têtes de bétail pour faire baisser la production, sachant qu'ils risquaient de se voir privés du soutien couplé facultatif (point 43).

Recommandation n° 1 – Réagir aux déséquilibres du marché susceptibles de se produire à l'avenir

Afin d'améliorer la manière dont elle fait face aux déséquilibres du marché potentiellement importants, la Commission devrait mettre à jour ses procédures et faire en sorte, avant d'approuver tout nouveau soutien à la réduction de la production:

  1. d'examiner si les conditions liées aux aides de la PAC (le soutien couplé, par exemple) contribuent à l'offre excédentaire;
  2. de réduire le risque d'effet d'aubaine en envisageant d'assortir les règlements de garanties appropriées.

Quand? D'ici fin 2022.

84

La Commission a proposé des mesures pour soutenir les agriculteurs, mais elle n'a pas quantifié leurs besoins lors de l'établissement du budget. D'autres aides de la PAC, en particulier les paiements directs, ont une fonction stabilisatrice lorsque le marché est perturbé, car elles permettent d'amortir les fluctuations des prix. La Commission n'a pas tenu compte des revenus globaux des producteurs dans son évaluation des besoins budgétaires. En revanche, le montant des ressources disponibles a joué un rôle majeur dans la dotation budgétaire (points 44 à 48).

85

Dans ses règlements délégués successifs, la Commission a indiqué que l'aide était destinée à fournir un soutien ciblé aux agriculteurs, mais elle n'a pas précisé la marche à suivre pour les autorités nationales (points 49 à 51). Pour simplifier la distribution de l'aide, les États membres ont souvent adopté des approches faciles à mettre en œuvre telles que le recours aux paiements forfaitaires ou aux paiements proportionnels à la taille des exploitations. Les cinq États membres sur lesquels nous avons centré notre audit ont généralement privilégié un système simple et une large répartition des fonds (points 63 à 71).

86

La production laitière a un certain nombre d'incidences sur l'environnement et le climat. Le dernier des cinq règlements délégués (adopté par la Commission en 2016) a tenu compte de certaines préoccupations liées à la durabilité, mais nous ne disposons pas, actuellement, d'informations suffisantes pour pouvoir évaluer l'impact des mesures connexes. Nous n'avons relevé aucun élément attestant que la Commission avait pris en compte ou évalué les incidences potentielles sur l'environnement et le climat lors de l'établissement des quatre autres règlements (points 52 à 54).

87

Au cours des années qui ont précédé la période 2014‑2016, marquée par des perturbations du marché, des agriculteurs de certains États membres ont considérablement augmenté la production laitière afin de bénéficier des prix plus élevés, et ont continué à accroître la production lorsque les prix ont commencé à baisser. Dans ses règlements délégués accordant une aide de trésorerie aux producteurs de lait, la Commission n'a pas tenu compte du risque d'aléa moral inhérent à ce genre de situations (points 55 à 57).

Recommandation n° 2 – Améliorer l'établissement du budget et le ciblage

Afin de garantir une utilisation plus efficace des fonds publics, la Commission devrait:

  1. fixer des seuils pour l'analyse des perturbations du marché, potentiellement importantes;
  2. être prête à analyser l'incidence probable d'une perturbation du marché sur le secteur laitier, en tenant compte de l'effet stabilisateur du soutien existant et, si elle conclut qu'un soutien exceptionnel est nécessaire, le lier à des objectifs clairs et à des valeurs cibles.

Quand? D'ici fin 2022.

88

En raison de la complexité des règles et des ressources disponibles dans le budget de la PAC, la réserve pour les crises dans le secteur agricole n'a pas été utilisée pendant les perturbations du marché au cours de la période 2014‑2016. La Commission a proposé des modifications visant à renforcer le rôle de cette réserve (points 75 et 76). En outre, depuis 2018, le règlement «omnibus» prévoit la possibilité de mettre en place des instruments sectoriels de stabilisation des revenus. En décembre 2020, nous avons recensé deux programmes de développement rural offrant un soutien aux instruments de stabilisation des revenus, mais aucun de ces instruments n'était opérationnel (point 73).

89

Les évaluations réalisées à l'issue des perturbations du marché ont permis de tirer des conclusions générales concernant les mesures exceptionnelles adoptées au niveau de l'UE et, depuis lors, la Commission a pris des initiatives pour améliorer ses procédures de gestion des crises. Toutefois, elle n'a pas correctement évalué les effets des dispositifs définis par les États membres. Nous estimons qu'une telle analyse pourrait permettre de tirer des conclusions et des enseignements importants et, ainsi, d'améliorer le degré de préparation aux perturbations du marché susceptibles de se produire à l'avenir (points 72 à 79).

Recommandation n° 3 – Améliorer le degré de préparation aux perturbations du marché susceptibles de se produire à l'avenir

Afin de tirer les enseignements des perturbations du marché de la période 2014‑2016 et de mieux se préparer à l'avenir, la Commission devrait analyser les effets des différents modèles d'octroi des aides exceptionnelles sur le comportement et la trésorerie des exploitations laitières et sur la stabilisation du marché et l'environnement, ainsi que le rôle des producteurs et des laiteries dans la gestion des risques, puis publier ses constatations.

Quand? D'ici fin 2024.

Le présent rapport a été adopté par la Chambre I, présidée par M. Samo Jereb, Membre de la Cour des comptes, à Luxembourg en sa réunion du 19 mai 2021.

Par la Cour des comptes

Klaus-Heiner Lehne
Président

Annexe – Règlements délégués relatifs à des mesures exceptionnelles de soutien en faveur du secteur laitier

Règlement délégué de la Commission Objectif Montant des dépenses de l'UE en faveur des producteurs de lait Montant des dépenses de l'UE, par tonne de lait livré aux laiteries dans les États membres concernés (1) Soutien national supplémentaire (aide complémentaire) Période de mise en œuvre (2)
(UE) n° 1263/2014 Mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de lait en Estonie, en Lettonie et en Lituanie 28,6 millions d'euros 10,3 euros/tonne Jusqu'à 100 % Du 26.11.2014 au 30.4.2015
(UE) n° 1370/2014 Mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de lait en Finlande 10,7 millions d'euros 4,7 euros/tonne Jusqu'à 100 % Du 19.12.2014 au 31.5.2015
(UE) 2015/1853 Mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des agriculteurs dans les secteurs de l'élevage 308,3 millions d'euros (*) 2,2 euros/tonne Jusqu'à 100 % Du 15.10.2015 au 30.6.2016
(UE) 2016/1612 Aide pour la réduction de la production laitière 108,7 millions d'euros (**) 0,8 euro/tonne Sans objet Du 8.9.2016 au 30.9.2017
(UE) 2016/1613 Aide d'adaptation exceptionnelle aux producteurs de lait et aux exploitants d'autres secteurs de l'élevage 281,1 millions d'euros (*) 2,0 euros/tonne Jusqu'à 100 % Du 8.9.2016 au 30.9.2017
Total 737,3 millions d'euros 5,2 euros/tonne 357,8 millions d'euros

(*) Il s'agit uniquement des dépenses dans le secteur laitier. Le montant total disponible pour l'ensemble des secteurs de l'élevage était de 420 millions d'euros au titre du règlement (UE) 2015/1853 et de 350 millions d'euros au titre du règlement (UE) 2016/1613.
(**) Sur un montant total disponible de 150 millions d'euros.
(1) Ensemble du lait livré aux laiteries dans les États membres concernés en 2013, y compris par les agriculteurs qui ne recevaient pas de soutien de l'UE.
(2) De la date de publication du règlement au délai de paiement des bénéficiaires.


Source: Cour des comptes européenne, sur la base de données de la Commission.

Acronymes, sigles et abréviations

DG AGRI: Direction générale de l'agriculture et du développement rural - Commission européenne

FAO: Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (Food and Agriculture Organization) (Nations unies)

LEP: lait écrémé en poudre

PAC: politique agricole commune

RICA: réseau d'information comptable agricole

Glossaire

Acte délégué (règlement délégué): acte juridiquement contraignant utilisé par la Commission, si le Parlement et le Conseil n'expriment pas d'objections, pour compléter ou modifier des éléments non essentiels d'un acte législatif de l'UE, par exemple en donnant des précisions sur les mesures d'exécution.

Effet d'aubaine: situation dans laquelle une activité aurait été entreprise sans aide publique.

Équivalent-lait: mesure de la quantité équivalente de lait entier liquide utilisée dans les produits laitiers (lait condensé/évaporé, lait en poudre, yaourt, crème, caséine, lait écrémé, lactosérum, etc.).

Fonds structurels et d'investissement européens: les cinq principaux Fonds de l'UE destinés à soutenir conjointement le développement économique dans l'ensemble de l'Union: le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen, le Fonds de cohésion, le Fonds européen agricole pour le développement rural et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.

Institut Thünen: institut de recherche allemand rattaché au ministère fédéral de l'alimentation et de l'agriculture.

Instrument financier: soutien financier provenant du budget de l'UE et prenant la forme de participations, de quasi-participations, de prêts ou de garanties, ou d'autres instruments de partage des risques.

Paiements directs: paiements d'aides agricoles, le plus souvent des aides à la surface, effectués directement en faveur des agriculteurs au titre du Fonds européen agricole de garantie.

Produits laitiers: lait et produits obtenus à partir du lait, tels que le beurre, le fromage et le lait en poudre.

Réseau d'information comptable agricole: outil fondé sur les enquêtes menées par les États membres auprès des exploitations commerciales, utilisé pour évaluer les niveaux de revenu agricole de l'UE et déterminer les incidences de la politique agricole commune.

Revenu d'exploitation net: indicateur du RICA décrivant le montant disponible pour rémunérer les facteurs de production propres à l'exploitation. Il est calculé en déduisant les salaires, les loyers et les intérêts payés par l'exploitant de la valeur ajoutée nette de l'exploitation et en additionnant le solde des subventions et des impôts sur les investissements.

Valeur ajoutée nette d'exploitation: indicateur utilisé dans le RICA pour décrire la valeur totale de la production d'une exploitation, subventions comprises, déduction faite des amortissements et de la valeur des biens et services consommés au cours du processus de production. Elle correspond au montant disponible pour payer l'ensemble des facteurs de production fixes d'une exploitation agricole (terres, travail et capital), qu'ils soient internes ou externes.

Réponses de la Commission

Synthèse

I

La Commission est consciente de l’importance sociale et économique du secteur laitier européen et accorde une grande importance à la nécessité de le soutenir en période de difficultés.

Le secteur laitier a été confronté à de graves perturbations du marché au cours de la période 2014-2016. La production laitière a augmenté dans l’UE, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande en 2014 et 2015, ravivée par des prix rémunérateurs et des conditions météorologiques favorables, tandis que la croissance de la consommation sur le marché intérieur et des exportations absorbait à peine la moitié de ce volume (essentiellement en raison du ralentissement des importations chinoises et de l’instauration de l’embargo russe sur les importations).

La Commission a effectué un contrôle continu et approfondi de la situation du marché, en organisant des réunions hebdomadaires du comité de gestion de l’organisation commune des marchés agricoles (avec les représentants des États membres) et des réunions mensuelles du conseil économique de l’Observatoire du marché du lait (avec des experts du marché). Au niveau interne, la Commission a créé des task-forces multidisciplinaires chargées d’évaluer la situation actuelle et de concevoir les mesures les plus appropriées.

La Commission a donc mobilisé tous les instruments possibles mis à sa disposition par le législateur, y compris l’intervention sur le marché (intervention publique et aide au stockage privé), des mesures exceptionnelles, une flexibilité des paiements directs et des paiements au titre du développement rural ou encore des mesures de promotion. Toutes ces mesures ont été mises en œuvre avec le soutien et sous le contrôle du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen.

III

La Commission a produit de nombreux éléments de preuve attestant de l’analyse approfondie du marché et des politiques qu’elle a réalisée afin de déterminer les mesures les plus efficaces et efficientes à mettre en œuvre.

La Commission a réalisé des analyses des principales causes de la crise et des incidences sur les marges des producteurs de lait, et elle a proposé des mesures de marché appropriées, en spécifiant l’incidence budgétaire de chacune d’entre elles. Compte tenu des ressources budgétaires disponibles, le choix des mesures a été effectué sur la base du meilleur rapport qualité/prix. Le cas échéant, l’allocation des fonds (enveloppes) aux États membres a été réalisée en combinant plusieurs critères objectifs tels que le volume de production, l’incidence sur les prix ou la dépendance vis-à-vis du marché russe.

V

La Commission a mis en œuvre les mesures exceptionnelles sur la base de données probantes. Aucune mesure n’a été adoptée à moins qu’une perturbation du marché ne puisse être démontrée par des données solides. Cela explique la mise en œuvre progressive des mesures entre 2014 et 2016.

VI

La Commission a estimé l’incidence de la crise au niveau de l’Union et au niveau des États membres. Les règles relatives aux mesures de soutien exceptionnelles dans le secteur laitier ont laissé aux États membres une large marge de manœuvre afin de mieux orienter le soutien vers les secteurs les plus affectés de leur territoire.

VII

À partir de 2018, le règlement «omnibus»44 a introduit des améliorations significatives des modalités d’exécution des instruments de gestion des risques. Parmi ces améliorations figurent la possibilité de mettre en place des instruments sectoriels de stabilisation des revenus ainsi que le renforcement du soutien financier public apporté à ces instruments. En décembre 2020, des outils de stabilisation des revenus étaient prévus dans deux programmes de développement rural. Bien qu’aucun instrument de la sorte n’ait été opérationnel, des processus de modification des programmes étaient en cours afin de faire usage des nouvelles possibilités de programmation.

VIII

La Commission a recueilli et consolidé les notifications reçues de la part des États membres concernant les mesures mises en œuvre sur leur territoire. Conformément au principe de subsidiarité, il a été jugé plus approprié que les États membres évaluent eux-mêmes l’efficacité de leurs mesures.

IX 1)

La Commission accepte la recommandation nº 1 et convient de la possibilité d’envisager les effets du soutien de l’UE sur les perturbations du marché de manière globale, ainsi que d’envisager des garanties en vue d’éviter les effets d’aubaine.

IX 2)

La Commission accepte partiellement la recommandation nº 2 et tiendra compte de l’effet stabilisateur du soutien direct dans son évaluation des perturbations du marché. Elle fixera également des conditions/objectifs plus restrictifs si et quand de nouvelles mesures de soutien exceptionnelles seront mises en œuvre.

Toutefois, il est impossible de définir à l’avance des seuils afin de caractériser les perturbations du marché.

XI 3)

La Commission accepte la recommandation nº 3 et analysera les effets des différents modèles d’octroi des aides exceptionnelles sur le comportement et la trésorerie des exploitations laitières et sur la stabilisation du marché et l’environnement, ainsi que le rôle des producteurs et des laiteries dans la gestion des risques.

Introduction

15

La politique agricole commune (PAC) offre plusieurs instruments de soutien des exploitations agricoles qui présentent des caractéristiques de stabilisation des revenus et qui ne sont pas exposés aux risques du marché. Les producteurs de lait peuvent participer à ces régimes de soutien au titre de la PAC.

Il s’agit notamment des paiements directs (y compris le soutien couplé facultatif) et des instruments de soutien au développement rural qui indemnisent les agriculteurs pour les coûts engagés et les pertes de revenus subies (soutien aux agriculteurs dans les zones soumises à des contraintes naturelles qui pèsent sur la production, si des zones ont été désignées comme telles, soutien aux agriculteurs dans les zones Natura 2000, soutien aux engagements agroenvironnementaux et climatiques, aux pratiques de l’agriculture biologique et aux pratiques en matière de bien-être des animaux). La plupart de ces types de revenus ne sont pas non plus exposés aux risques liés à la production.

Le soutien aux investissements en faveur du développement rural peut également accroître les rentrées de liquidités des entreprises agricoles, mais il repose sur des actifs physiques qui doivent continuer de remplir leur finalité initiale pendant au moins cinq ans.

22

Les dépenses totales relatives à l’intervention et au stockage privé au cours de la période 2015-2019 ont représenté 176,2 millions d’euros, soit environ 0,07 % du chiffre d’affaires du secteur laitier pour la période en question.

Observations

33

La Commission souligne que les conclusions du conseil économique de l’Observatoire du marché du lait s’adressent principalement aux opérateurs du secteur laitier, afin que ceux-ci adaptent leurs décisions de production et décisions commerciales aux circonstances et aux perspectives qui prévalent sur le marché. Le rôle de ce conseil est d’informer, mais pas d’orienter les décisions stratégiques.

Des indices de fluctuation de l’offre, de la demande et des prix ne devraient pas nécessairement entraîner une intervention automatique, au moyen de mesures de filet de sécurité ou d’autres mesures. Il convient plutôt de laisser les participants au marché répondre à ces fluctuations en procédant à des ajustements appropriés de leur propre production. Ce n’est qu’en cas d’aggravation de l’intensité et de l’incidence des fluctuations, susceptible d’entraîner de graves perturbations du marché, que des mesures formelles de filet de sécurité doivent être envisagées.

37

La Commission rappelle que les livraisons de lait de l’UE ont connu une augmentation de 4,7 % entre janvier et avril 2016, une progression considérable qui ne montre que peu de signes de ralentissement.

38

Ce niveau d’aide équivaut à environ 0,3 % de la production du secteur laitier de l’UE. Bien que d’ampleur très modeste, il a néanmoins envoyé un message fort quant à la nécessité de réduire la production, avec l’aide d’une incitation financière visant à encourager les producteurs à baisser leur production.

La Commission estime qu’il serait très compliqué de donner une estimation précise et fiable de l’augmentation probable du prix du lait en fonction d’une baisse de la production de lait et que cela pourrait envoyer un mauvais signal, compte tenu des nombreuses variables exogènes qui influencent les prix.

40

La Commission observe qu’au moment de la conception et de l’annonce de la mesure (juillet 2016), rien ne laissait entrevoir une amélioration du prix. L’embellie des prix du lait de l’UE a débuté au mois d’août 2016 (informations uniquement disponibles à partir de la fin septembre 2016).

42

La Commission a considéré que le régime de réduction de la production de lait était pertinent étant donné: qu’il a fourni un soutien financier aux agriculteurs en difficulté en récompensant celles et ceux qui ont ajusté l’offre à la demande; qu’il a largement contribué à rééquilibrer efficacement le marché laitier de l’UE; et, comme conséquence indirecte de ce rééquilibrage, qu’il a influencé le redressement du prix du lait au second semestre 2016.

L’ampleur limitée des mesures sur le plan des dépenses a clairement restreint leur capacité à susciter un redressement du prix. De toute évidence, un niveau de dépenses beaucoup plus conséquent aurait probablement eu une plus grande incidence, mais aurait eu un coût sur le plan des ressources. Les mesures ont tout de même envoyé des signaux importants au marché quant à l’orientation de la politique et à la nécessité de réduire la production de manière proportionnée, flexible et économique.

43

En plus de réduire leur nombre de têtes de bétail, les agriculteurs peuvent également réduire leur production par d’autres moyens, par exemple en limitant les intrants en matière de nourriture du bétail, en retardant l’abattage des vaches moins productives, en utilisant moins d’engrais dans les systèmes basés sur la consommation d’herbe, en donnant le lait aux veaux, etc.

48

La Commission a réalisé des analyses des principales causes de la crise et des incidences sur les marges des producteurs de lait, et elle a proposé des mesures de marché appropriées, en spécifiant l’incidence budgétaire de chacune d’entre elles. Compte tenu des ressources budgétaires disponibles, la Commission a choisi les mesures sur la base du meilleur rapport qualité/prix.

49

La Commission a considéré que la répartition du budget disponible entre les différents États membres devait être, dans une large mesure, proportionnelle à la taille de leur secteur laitier. C’est pourquoi un poids prédominant a été accordé à la production totale de lait (estimée comme correspondant à la production réelle de lait dans les limites du quota).

50

La Commission a considéré que l’indication figurant dans les considérants du règlement (UE) 2015/185345 «agriculteurs dans les secteurs de l’élevage qui subissent la plus forte chute de prix, les conséquences directes de la prolongation de l’embargo russe sur les importations et l’impact de la sécheresse sur le rendement des cultures» constituait une orientation suffisante. Il incombait en fin de compte aux États membres d’affiner le ciblage de l’aide afin de l’orienter vers les agriculteurs les plus affectés.

Cette approche, conforme au principe de subsidiarité, cadre également avec le fait que les autorités des États membres savent mieux quels sont les agriculteurs les plus touchés et peuvent donc faire preuve d’une plus grande flexibilité pour mettre en place les mesures nécessaires.

52

La Commission considère que les externalités de l’élevage laitier sont pluridimensionnelles, avec des bénéfices pour l’environnement largement supérieurs aux incidences négatives. En outre, plusieurs études ont conclu que les pratiques agricoles intensives étaient bénéfiques en ce qui concerne les émissions relatives. En effet, elles permettent d’obtenir plus (de lait) avec moins (d’émissions). Selon le projet de document de travail des services de la Commission [SWD(2021)115] consacré à une évaluation du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre (GES):

  • Si, en 2018, 44 % des émissions agricoles hors CO2 de l’UE-28 étaient liées à la fermentation entérique des ruminants (méthane – CH4), le rapport transmis à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) au sujet de l’intensité des émissions indique que les émissions de GES par unité de production ont légèrement diminué pour certains systèmes agricoles, dont le système laitier.
  • En ce qui concerne les innovations technologiques, l’utilisation d’animaux ou de semences génétiquement améliorés est relativement fréquente au niveau de l’UE, de même que l’utilisation de sperme sexé et de serres et bâtiments d’élevage climatisés. Par exemple, dans le secteur laitier, le rendement laitier moyen de l’UE a augmenté de 67 % depuis 1990, ce qui a permis d’augmenter la production de 5 % alors que le nombre de vaches laitières diminuait de près de 40 %, ce qui a contribué de manière significative à réduire les émissions de GES en Europe depuis 1990.
54

La variété des activités choisies par les États membres reflète leurs circonstances, préférences et options stratégiques particulières, et, en parallèle, les limitations d’une approche uniformisée. Elle illustre également les mérites d’une approche fondée sur la subsidiarité, dans le cadre de laquelle les États membres adaptent les mesures à leurs propres circonstances.

60

Les niveaux de production des différents producteurs de lait varient considérablement pour des raisons de nature très diverse, que la situation du marché soit bonne ou mauvaise. Ce qui importe, dans un contexte de forte détérioration des marchés, c’est d’envoyer aux producteurs le message qu’ils devraient adapter la production et de fournir des mesures de soutien appropriées lorsque cela s’avère possible. La Commission a jugé irréaliste d’identifier les agriculteurs qui auraient de toute façon mis fin à leur production et a estimé que toute réduction effective de la production contribuerait à stabiliser le marché. Toute réduction devrait donc être éligible à une aide de l’Union [dans les limites et conditions établies par le règlement (UE) 2016/1612]46.

61

La Commission rappelle que conformément à l’article 5, paragraphe 4, du règlement (UE) 2016/1612, les États membres doivent contrôler que «la réduction des livraisons de lait de vache pour laquelle une aide de l’Union est octroyée est effectivement intervenue». Par conséquent, les États membres auraient dû détecter les transferts de troupeaux entre agriculteurs sans réduction effective de la production laitière et les exclure du bénéfice de l’aide; ces transferts seront traités conformément aux procédures normales d’apurement des comptes.

73

Les règles relatives aux instruments de gestion des risques ont été considérablement modifiées au cours de la période 2014-2020, afin d’améliorer le fonctionnement des régimes, d’en faciliter la mise en œuvre et de les rendre plus attractifs pour les agriculteurs.

Le règlement «omnibus» de 201847 a fondamentalement modifié le fonctionnement du soutien offert par l’instrument de stabilisation des revenus (ISR) en facilitant la constitution et le maintien du capital social du fonds de mutualisation (qui est l’élément essentiel de la création d’un fonds robuste) en permettant d’utiliser l’aide publique pour constituer le capital social initial et compléter les paiements annuels au fonds de mutualisation. Cela vient s’ajouter à la possibilité de subventionner les indemnités versées par les fonds de mutualisation aux agriculteurs participants.

Le régime est également devenu moins coûteux pour les agriculteurs tout en apportant un meilleur niveau d’assurance-revenu: le niveau minimal de perte a été réduit, passant de 30 % à 20 %. Le taux d’aide (c’est-à-dire la part des fonds publics qui financent les coûts des fonds de mutualisation) a été relevé de 65 % à 70 %. Depuis décembre 2020, le même seuil minimal s’applique aux instruments de stabilisation des revenus autres que sectoriels48.

En 2020, dans l’ensemble de l’UE, des ISR ont été programmés dans le cadre de deux programmes de développement rural, mais ils n’étaient pas opérationnels. Toutefois, dans les deux cas, des processus de modification des programmes étaient en cours en 2020 afin de faire usage des nouvelles possibilités de programmation.

77

En plus des mesures mentionnées par la Cour des comptes, dans le cadre du train de mesures adoptées en réaction à la pandémie de COVID-19, le règlement Feader a été modifié49 afin de permettre l’octroi d’un soutien temporaire exceptionnel (sous la forme de sommes forfaitaires) aux agriculteurs et aux PME particulièrement touchés par la crise de la COVID-19 et de garantir la continuité de leurs activités.

78

La Commission rappelle que l’étude réalisée par Written Wageningen Economic Research and Ecorys50 incluait une étude de cas consacrée à la crise du secteur laitier, dont la conclusion était que «la Commission européenne a géré de manière équilibrée la crise du secteur laitier en 2014-2016, en exploitant tout l’éventail des instruments disponibles, tout en tenant compte des limitations de ces instruments» (traduction libre).

Conclusions et recommandations

81

La Commission considère que des analyses et des évaluations approfondies, continues et pluridisciplinaires ont été réalisées au cours de la période 2014-2016 et que cela a contribué à l’efficacité des mesures en question, qui ont soutenu de manière importante la reprise du secteur laitier, à un coût minimal et de manière flexible et pragmatique. Les mesures ont fait l’objet de discussions approfondies avec les États membres et ces derniers les ont soutenues.

82

La Commission rappelle que les prix du lait écrémé en poudre (LEP) étaient en baisse depuis 18 mois au moment où l’intervention publique a commencé à produire ses effets. Cet instrument a permis d’éviter une nouvelle détérioration des prix du LEP, et, dès lors, des prix du lait. Les stocks publics de LEP ont été conservés jusqu’à ce que la reprise du marché se concrétise. Le bas niveau des prix du LEP alors en vigueur a pesé sur la capacité de la Commission de vendre ses stocks d’intervention. Il s’agit là d’une évolution normale liée au marché, qui ne remet pas en cause l’efficacité de l’instrument.

En substance, la Commission est parvenue à céder un large volume de stocks dans un contexte d’augmentation des prix du marché.

83

La Commission rappelle qu’au moment où la mesure a été conçue, la production ne montrait aucun signe de diminution. Si elle a commencé à décliner en juin 2016, des preuves de cette tendance ne pouvaient pas être obtenues avant la mi-août 2016.

Recommandation n° 1 – Réagir aux déséquilibres du marché susceptibles de se produire à l’avenir

a) La Commission accepte la recommandation.

La Commission fait observer que le soutien couplé est limité aux secteurs qui rencontrent des difficultés structurelles, afin d’éviter une aggravation de ces difficultés qui pourrait entraîner un abandon de la production et affecter d’autres parties de la chaîne d’approvisionnement ou des marchés liés. Ce soutien est soumis à de strictes limites et conditions, afin d’atténuer le risque de distorsion du marché. Dès lors, le soutien couplé n’est pas un mécanisme stimulant la production.

Par ailleurs, compte tenu des dispositions du régime, la Commission n’a qu’une marge de manœuvre très limitée pour utiliser le soutien couplé facultatif afin d’agir, en cas de crise, sur le nombre d’animaux détenus par les agriculteurs.

La Commission est habilitée à prendre des mesures afin d’éviter que les bénéficiaires d’un soutien couplé facultatif soient exposés à des déséquilibres structurels du marché dans un secteur. Ces mesures peuvent permettre aux États membres de décider de verser ce soutien sur la base des unités de production pour lesquelles le soutien a été octroyé au cours d’une période de référence antérieure.

Dans un scénario potentiel de perturbation du marché due à une offre excédentaire, la Commission envisagera les moyens d’éviter que l’existence de paiements couplés n’interfère sur les ajustements nécessaires de la production. À cet égard, la Commission étudiera avec soin la pertinence et le calendrier de l’adoption des mesures susmentionnées.

b) La Commission accepte cette recommandation.

84

La Commission a réalisé des analyses des principales causes de la crise et des incidences sur les marges des producteurs de lait, et elle a proposé des mesures de marché appropriées, en spécifiant l’incidence budgétaire de chacune d’entre elles. Compte tenu des ressources budgétaires disponibles, la Commission a choisi les mesures sur la base du meilleur rapport qualité/prix.

85

La Commission a procédé à une surveillance continue du marché, ainsi qu’à une évaluation approfondie et pluridisciplinaire de la crise (incluant une discussion avec les États membres sur les mesures appropriées au sein du Conseil). Conformément au principe de subsidiarité, il a été jugé plus approprié que les États membres ciblent l’aide octroyée dans le cadre des différentes mesures exceptionnelles. La Commission a considéré que les indications incluses dans les considérants des différents règlements mettant en œuvre les mesures de soutien exceptionnelles dans le secteur laitier [par exemple, «agriculteurs dans les secteurs de l’élevage qui subissent la plus forte chute de prix, les conséquences directes de la prolongation de l’embargo russe sur les importations et l’impact de la sécheresse sur le rendement des cultures», dans le règlement délégué (UE) 2015/1853 de la Commission] constituaient des orientations suffisantes pour ce ciblage.

86

La Commission rappelle que la durabilité (au sens de la stratégie «de la ferme à la table»51, en particulier s’agissant des implications pour l’environnement et le climat) n’était pas l’un des objectifs des mesures exceptionnelles adoptées en 2014-2016.

Recommandation n° 2 – Améliorer l’établissement du budget et le ciblage

a) La Commission n’accepte pas cette recommandation.

Les perturbations du marché revêtent un caractère pluridimensionnel et imprévu, ce qui rend impossible et non souhaitable de définir à l’avance des seuils opérationnels qui confineraient toute mesure ultérieure à un cadre prédéterminé. Les perturbations du marché doivent être traitées sur une base ad hoc et en adoptant une approche globale.

b) La Commission accepte cette recommandation.

Elle peut tenir compte, dans son évaluation des perturbations du marché au niveau sectoriel, de l’effet stabilisateur du soutien direct, et des conditions/objectifs plus restrictifs peuvent être définis si et quand de nouvelles mesures de soutien exceptionnelles sont mises en œuvre.

88

Si la réserve pour les crises dans le secteur agricole n’a pas été utilisée pendant les perturbations du marché au cours de la période 2014-2016, cela n’était pas dû uniquement à la complexité des règles, mais aussi à l’existence de ressources disponibles suffisantes dans le budget de l’UE.

À partir de 2018, le règlement «omnibus» a significativement amélioré les modalités d’exécution des instruments de gestion des risques, y compris en prévoyant la possibilité de mettre en place des instruments sectoriels de stabilisation des revenus et en renforçant le soutien financier public apporté à ces instruments. En décembre 2020, des outils de stabilisation des revenus étaient prévus dans deux programmes de développement rural. Bien qu’aucun instrument de la sorte n’ait été opérationnel, des modifications des programmes étaient en cours afin de faire usage des nouvelles possibilités.

89

La Commission a recueilli et consolidé les notifications reçues de la part des États membres concernant les mesures mises en œuvre sur leur territoire. Conformément au principe de subsidiarité, il a été jugé plus approprié que les États membres évaluent eux-mêmes l’efficacité de leurs mesures. La Commission peut néanmoins envisager d’analyser de manière plus approfondie les systèmes des États membres.

Recommandation n° 3 – Améliorer le degré de préparation aux perturbations du marché susceptibles de se produire à l’avenir

La Commission accepte la recommandation.

La Commission réalisera une étude afin de contribuer à tirer les enseignements des perturbations du marché de la période 2014-2016 en ce qui concerne les effets des différentes mesures exceptionnelles sur le comportement et la trésorerie des exploitations laitières, ainsi que sur la stabilisation du marché et l’environnement, ainsi que le rôle des producteurs et des laiteries dans la gestion des risques.

Compte tenu du temps nécessaire aux procédures de passation de marchés, et afin d’assurer une étude de haute qualité, la Commission estime nécessaire de fixer à 2024 la date de mise en œuvre cible.

Équipe d'audit

Les rapports spéciaux de la Cour présentent les résultats de ses audits relatifs aux politiques et programmes de l'UE ou à des questions de gestion concernant des domaines budgétaires spécifiques. La Cour sélectionne et conçoit ces activités d'audit de manière à maximiser leur impact en tenant compte des risques pour la performance ou la conformité, du niveau des recettes ou des dépenses concernées, des évolutions escomptées ainsi que de l'importance politique et de l'intérêt du public.

L'audit de la performance objet du présent rapport a été réalisé par la Chambre I (Utilisation durable des ressources naturelles), présidée par M. Samo Jereb, Membre de la Cour. L'audit a été effectué sous la responsabilité de M. Nikolaos Milionis, Membre de la Cour.

Notes

1 Eurostat data explorer – Comptes économiques de l'agriculture – valeurs aux prix de base – mise à jour du 9 mars 2020.

2 Commission européenne, EU agricultural outlook – For markets and income 2019‑2030, décembre 2019, p. 82, tableau 9.23 «EU milk market balance» de l'annexe.

3 Eurostat data explorer – Collecte de lait de vache et produits obtenus – données mensuelles – mise à jour du 31 mars 2020.

4 Calcul de la Commission fondé sur les données et les estimations disponibles d'Eurostat. Les bilans sous-jacents sont publiés dans les perspectives à court terme de la Commission.

5 Calcul effectué sur la base des volumes d'équivalents-lait communiqués par la FAO dans le rapport «Perspectives de l'alimentation» (Food Outlook) – Novembre 2020 – Tableau 19 de l'annexe.

6 Voir le compte rendu de réunion du conseil économique de l'Observatoire du marché du lait du 27 mai 2014.

7 Calcul effectué sur la base des données commerciales de l'UE disponibles dans la base de données Access2Markets de la Commission, codes 0401 à 0406 du système harmonisé.

8 Selon une étude réalisée pour le compte de la Commission: Written Wageningen Economic Research and Ecorys – Évaluation pour la Commission intitulée Improving crisis prevention and management criteria and strategies in the agricultural sector (05.087 713), rapport final, août 2019, p. 37.

9 Rapport de la Commission intitulé «Évolution de la situation du marché des produits laitiers et de la mise en œuvre du "paquet lait"»; COM(2016) 0724 final.

10 Pour de plus amples informations, veuillez consulter le portail relatif aux données agroalimentaires de la Commission.

11 Pour de plus amples informations sur l'évaluation, par la Commission, des revenus des agriculteurs, voir notre rapport spécial n° 01/2016 intitulé «Soutien aux revenus des agriculteurs: le système de mesure de la performance mis en place à la Commission est-il bien conçu et repose-t-il sur des données fiables?».

12 Rapport spécial n° 23/2019 de la Cour des comptes européenne intitulé «Stabilisation des revenus des agriculteurs: une panoplie complète d'outils, mais certains connaissent des problèmes de faible utilisation ou de surcompensation».

13 Article 17 du règlement OCM.

14 Articles 14 et 15 du règlement OCM.

15 Articles 2 et 3 du règlement (UE) n° 1370/2013 du Conseil du 16 décembre 2013 établissant les mesures relatives à la fixation de certaines aides et restitutions liées à l'organisation commune des marchés des produits agricoles.

16 Rapport spécial n° 23/2019 de la Cour des comptes européenne intitulé «Stabilisation des revenus des agriculteurs: une panoplie complète d'outils, mais certains connaissent des problèmes de faible utilisation ou de surcompensation».

17 L'institution supérieure de contrôle (ISC) d'Allemagne (Bundesrechnungshof) et l'institut Thünen.

18 La Belgique, la Tchéquie, le Danemark, l'Allemagne, l'Estonie, l'Irlande, l'Espagne, la France, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie et la Finlande.

19 Point 63 du rapport spécial n° 23/2019 de la Cour des comptes européenne.

20 Des informations concernant l'embargo russe sur les importations sont disponibles sur le site web de la Commission.

21 Règlement délégué (UE) 2016/558 de la Commission et règlement d'exécution (UE) 2016/559 de la Commission.

22 Compte rendu de réunion du conseil économique de l'Observatoire du marché du lait – 28 juin 2016, en particulier p. 68.

23 Andrea Rothe et Sascha A. Weber, Evaluierung über die in Deutschland erfolgte Umsetzung der Milchmengenverringerungsmaßnahme sowie der Milchsonderbeihilfe [Évaluation de la mise en œuvre, en Allemagne, de la mesure visant à réduire la production laitière et du régime spécial d'aide au secteur laitier], Thünen Working Paper 88.

24 Voir également l'étude d'appui à l'évaluation réalisée par le GEIE Agrosynergie pour le compte de la Commission – Evaluation on the impact of the CAP measures towards the general objective 'viable food production', août 2018, section 8.5 «Timeliness of the Commission's reaction to market crises», p. 147.

25 Commission européenne, EU Agricultural Outlook: Prospect for the EU agricultural markets and income 2016‑2026, décembre 2016, p. 32.

26 Règlement d'exécution (UE) 2016/1616 de la Commission.

27 Article 3, paragraphe 11, point c), du règlement (UE) 2017/2393 et article 9, paragraphe 14, du règlement (UE) 2020/2220.

28 Le revenu s'entend ici comme la valeur ajoutée nette d'exploitation.

29 Article 75, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1306/2013.

30 Recommandation n° 3, point a), du rapport, p. 50, et réponses de la Commission, p. 10.

31 Directive 91/676/CEE du Conseil concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.

32 Bundesrechnungshof, Abschließende Mitteilung an das Bundesministerium für Ernährung und Landwirtschaft über die Prüfung der Maßnahmen zur Entwicklung des Marktes von Milch und Milcherzeugnissen, 19 septembre 2019.

33 Rapport spécial n° 23/2019, point 35.

34 GEIE Agrosynergie, op. cit., section 9.2 Effects of market measures in production decisions in the short term: generation of occasional surplus, p. 152-154.

35 Op. cit.

36 En Tchéquie, en Allemagne, en Espagne et en France.

37 Article 1er, paragraphe 19, du règlement (UE) 2017/2393, prévoyant l'insertion de l'article 39 bis dans le règlement (UE) n° 1305/2013.

38 Pour de plus amples informations sur les instruments de stabilisation des revenus et les autres instruments de gestion des risques soutenus par la PAC, voir également notre rapport spécial n° 23/2019.

39 Article 39 du règlement (UE) n° 1305/2013, tel que modifié par l'article 7, paragraphe 7), du règlement (UE) 2020/2220.

40 Pour en savoir plus, veuillez consulter le site de la Commission.

41 Règlement (UE) 2020/558 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2020 modifiant les règlements (UE) n° 1301/2013 et (UE) n° 1303/2013 en ce qui concerne des mesures spécifiques visant à offrir une flexibilité exceptionnelle pour l'utilisation des Fonds structurels et d'investissement européens en réaction à la propagation de la COVID‐19.

42 GEIE Agrosynergie, op. cit., et Written Wageningen Economic Research and Ecorys, op. cit.

43 Article 3, point b), du règlement (UE) 2016/1613.

44 Règlement (UE) 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017 modifiant le règlement (UE) nº 1305/2013 (JO L 350 du 29.12.2017, p. 15).

45 Règlement délégué (UE) 2015/1853 de la Commission du 15 octobre 2015 arrêtant des mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des agriculteurs dans les secteurs de l’élevage (JO L 271 du 16.10.2015, p. 25).

46 Règlement délégué (UE) 2016/1612 de la Commission du 8 septembre 2016 prévoyant une aide pour la réduction de la production laitière C/2016/5681 (JO L 242 du 9.9.2016, p. 4).

47 Règlement (UE) 2017/2393, article 1er, paragraphe 19, prévoyant l’insertion de l’article 39 bis dans le règlement (UE) nº 1305/2013.

48 Voir article 39 du règlement (UE) nº 1305/2013, tel que modifié par l’article 7, paragraphe 7, du règlement (UE) 2020/2220.

49 Règlement (UE) 2020/872 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2020 modifiant le règlement (UE) nº 1305/2013 (JO L 204 du 26.6.2020, p. 1).

50 Written Wageningen Economic Research and Ecorys – Évaluation pour la Commission intitulée Improving crisis prevention and management criteria and strategies in the agricultural sector (05.087 713), rapport final, août 2019, p. 37.

51 Une stratégie «De la ferme à la table» pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement, COM(2020) 381 final du 20.5.2020.

Calendrier

Étape Date
Adoption du plan d'enquête / Début de l'audit 15.5.2019
Envoi officiel du projet de rapport à la Commission (ou à toute autre entité auditée) 26.3.2021
Adoption du rapport définitif après la procédure contradictoire 19.5.2021
Réception des réponses officielles de la Commission dans toutes les langues 17.6.2021

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